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Il faut donc admirer Schumann ; mais ce n’est pas assez : il faut l’aimer aussi : l’aimer pour ses malheurs, pour sa brève et sombre destinée, pour l’effroyable aventure qui le jeta vivant dans de pires ténèbres que celles de la mort. Nous voudrions gagner à Schumann, avec l’admiration, la sympathie et l’affectueuse compassion qui nous portent nous-même à parler de lui. Que ne peut-on pratiquer toujours ainsi le précepte de M. Renan, et ne jamais écrire que de ce qu’on aime !


II

On a fait sur Schumann divers travaux, études ou notices biographiques. Les plus importans ont paru en Allemagne. Outre un livre de Reissmann, citons seulement celui de Joseph W. von Wasielewski, publié à Dresde en 1858, et traduit partiellement par M. F. Herzog dans le journal musical le Ménestrel (1868 et 1869). En France, on ne s’est guère occupé jusqu’ici de Schumann, Cependant en a publié à son sujet, il y a vingt ans, un travail de M. le baron Ernouf. C’est à cette étude et à celle de Wasielewski que nous avons emprunté presque tous les renseignemens qui vont suivre. Quoique la biographie, même des plus grands hommes, n’offre souvent qu’un intérêt secondaire, et qu’on les connaisse mieux par leurs œuvres que par leur vie, il ne faut pas trop sacrifier les faits aux idées. Surtout, en matière d’art, l’histoire ne doit pas dominer la critique, mais elle peut l’aider utilement, ajouter à la précision de ses vues et à l’autorité de ses jugemens.

Robert Schumann naquit à Zwickau, petite ville de Saxe, le 8 juin 1810, Son aïeul paternel, Friedrich Gottlob Schumann, était un simple ministre de village. Son père, Auguste Schumann, n’avait point une nature vulgaire. De bonne heure, il eut des goûts et des aptitudes littéraires ; mais ses parens, qui le destinaient au commerce, le firent impitoyablement entrer chez un négociant de Leipzig. Cette contrainte précoce, douloureusement ressentie par l’enfant, est peut-être l’origine de la maladie de langueur à laquelle devait succomber Auguste Schumann. Cependant, son apprentissage commercial à Leipzig ne l’empêcha pas de suivre les cours de l’Université. Après quelques années de lutte et de mauvaise fortune, après s’être marié en 1795, il finit par se résigner au commerce, mais du moins au commerce presque littéraire de la librairie. Il y réussit, La maison qu’il fonda avec un de ses frères à Zwickau, où il s’établit en 1808, subsista, prospère et considérée, jusqu’en 1840.

Mme Auguste Schumann, la mère de Robert, se nommait Johanna