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« que les poëtes ressembloient les chevaux, qu’il falloit nourrir et non pas trop saouler ny engraisser, car amprès ils ne valent rien plus. » Il se plaisait lui-même à rimer ; mais « il fut mieux disant et escrivant en prose qu’en rhythme, et surtout fort éloquent ; et parloit bravement, hardiment, autant et plus à la soldatesque qu’à la royauté. » Quant aux qualités du cœur, dont nous cherchons en vain la trace dans la peinture de Janet, peut-être le cœur de la fiancée, mieux avisé que le nôtre, pouvait-il les y découvrir. Charles IX n’était pas méchant par nature, il l’est devenu par situation ; il a contracté la méchanceté comme une contagion, parce qu’il a vécu dans un milieu moral tout à fait infesté. Il était d’une grande bravoure, avait le mépris de la vie et l’amour de la gloire. On l’a empêché de se battre ; alors il a mis tout son courage dans la dissimulation. il rêvait quelque chose de grand, on l’a condamné à quelque chose d’horrible. La vengeance absorbe désormais toute cette âme, devient une ligne politique inexorablement arrêtée, prend l’apparence du devoir, presque de l’héroïsme, fait partie intégrante d’une religion. Comment les idées s’étaient-elles à ce point faussées dans ce pauvre cerveau ? Par les mauvais conseils. En 1569, Cipierre était mort depuis quatre ans déjà, et avec lui s’était comme envolée l’âme de la vieille France veillant auprès du roi. Albert de Gondi, que Xatherine de Médicis avait choisi pour le remplacer, avait été dès lors l’âme damnée de Charles IX. « Il le pervertit de tout, dit Brantôme, et lui fit oublier et laisser la bonne nourriture que lui avoit donnée le brave Cipierre… On tenoit le Perron (Gondi) le plus grand renieur de Dieu de sang-froid qu’on peust voir. » Dès cette époque, Charles IX se mit à jurer à tous propos. Gondi l’instruisit surtout dans l’art de feindre et lui enseigna la vengeance. Les deux portraits de François Clouet, au Belvédère et au Louvre, sont bien l’image de ce roi tel que l’avaient fait de pareilles influences. Sous cette surface d’apparence tranquille grondent de sombres colères.

La vengeance ! voilà le grand mot, la raison suprême de la politique sous ces derniers Valois. Non pas la vengeance à ciel ouvert, qui demandait jadis œil pour œil et dent pour dent ; mais la vengeance italienne, cauteleuse, sournoise, hypocrite, qui caressait pour mieux assassiner. L’Italie, en pleine décadence, se vengeait de ce que nous avions fait d’elle, alors qu’elle éclairait le monde du feu de ses chefs-d’œuvre. Nous l’avions dévastée ; elle était en train de nous déshonorer. Elle nous imposait ses mœurs, comme elle venait de nous imposer ses peintres. Brantôme, à qui nous recourons sans cesse parce qu’il a vécu de la vie et des passions du XVIe siècle, Brantôme montre l’idée de vengeance planant sur tout ce règne, de manière à en expliquer, j’allais dire à en