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de commande et pour rendre à cet enfant le charme de l’enfance. Cette tête, peinte avec une remarquable distinction, est certainement de la main même qui peindra en 1569 le portrait du Belvédère et le portrait du Louvre. La précision du dessin et la sincérité de l’expression sont d’irrécusables preuves. La coloration en est une aussi : elle a plus de suavité que dans le grand portrait du Belvédère et presque autant de finesse que dans le petit portrait du Louvre. François Clouet, dans ce cadre moyen, est en possession de tous ses avantages. Ce qu’on voit du costume est également traité de main de maître et suffirait pour établir l’authenticité du portrait.

Ces portraits, paincts au vif, étaient généralement précédés de crayons où le vif était plus vivant encore. François Clouet, en présence de son modèle, dessinait un premier portrait à la pierre noire, et le colorait à l’aide d’un papier roulé, formant une sorte d’estompe qu’il frottait de rouge. Ce dessin, très étudié, très poussé, rendu jusque dans les moindres détails, servait ensuite à faire le tableau. Dans cette entrevue première, la nature, prise instantanément sur le fait, saisie dans le tête-à-tête, interrogée, fouillée, se livrait au peintre tout entière. Quand on ne connaît pas ces dessins, on ignore de Janet ce qu’il y eut peut-être en lui de plus rare. Nous n’avons pu trouver le dessin original des portraits de 1569. Il a dû exister cependant, car, parmi les portraits crayonnés du Cabinet des estampes de la Bibliothèque nationale de Paris, on en voit une copie très soignée, quoique un peu froide. Plus heureux pour le portrait de 1561, nous avons découvert dans la même collection le dessin original d’après lequel a été peint le tableau. C’est la vie même qui anime ce crayon légèrement colorié. Rien n’en vient obscurcir l’expression. La rapidité du procédé n’a pas permis à la pensée de se refroidir. Le visage a une sincérité d’accent qui ne permet pas de méprise. Les yeux ont quelque chose de plus câlin que dans le tableau, et la bouche aussi est plus près de sourire. Il y a là une fleur de sentiment tellement délicate, que Janet lui-même n’y pourra toucher sans la déflorer un peu. Assurément le parfum en est délicieux dans la peinture ; mais il y est moins concentré, moins pénétrant que dans le dessin. Les moindres détails du costume y sont également indiqués. Janet, seulement, relèvera légèrement, dans son tableau, le toquet sur le côté droit de la tête. D’autre part, il abaissera la collerette : elle monte jusqu’à la base du nez dans le dessin, elle s’arrêtera au niveau de la bouche dans le tableau. Ces légères modifications sont importantes à noter, parce qu’étant à l’avantage du tableau, elles démontrent que celui-ci a été précédé par le dessin. La date de 1561, que nous avons relevée dans la peinture, se trouve à la même place dans le crayon.