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petite société où il n’entendra guère que parler raison, et où les amusemens, hors la conversation, seront médiocres. Il faut qu’il s’examine pour savoir s’il emploiera sérieusement la matinée à l’étude pour contracter l’habitude de l’application. Nous tâcherions que cette retraite fût assez à portée de Paris pour qu’il pût, sans grand dérangement, aller le soir au spectacle, pas précisément tous les jours. J’ai depuis longtemps le privilège, avec mes amis, de ne paraître qu’à dîner, et, le soir, une heure dans la société ; je serai cette année plus que jamais dans le cas de me servir de mon privilège. Je voudrais fort pouvoir offrir à Son Altesse Sérénissime tout mon temps ; mais le désordre que le voyage d’Angleterre a déjà mis dans mes affaires, la nécessité de les préparer à une nouvelle absence, ne me le permettent pas. Il faut donc que Monseigneur le prince héréditaire attende tout de lui-même et rien de moi que des directions générales. »

Grimm dut assez vite comprendre que les convenances s’opposaient au plan qu’il avait formé. Ses recherches de logement étaient d’ailleurs restées vaines. « Nous n’avons encore rien trouvé, écrit-il au mois de mars 1772, pour nicher notre petite société, et si, dans le courant de ce mois, nous ne sommes pas plus heureux, je me nicherai dans un trou à Saint-Cloud, car il faut absolument que je me tire de Paris, où je suis distrait de mes occupations, quelque soin que je prenne de me renfermer et de me soustraire aux importuns. » Les infirmités, pour comble d’infortune, et les maladies commençaient à se déclarer à la suite des excès de travail. Grimm était atteint de la crampe des écrivains. Il eut, au mois de juin, une attaque de miséréré si violente qu’il fut plusieurs jours entre la vie et la mort et resta longtemps dans une extrême faiblesse. « Tronchin prétend que j’ai gagné mon accident à force d’écrire, et d’être toujours assis, les entrailles comprimées et le nez sur mon papier. Que faudra-t-il donc devenir si je ne puis vaquer à mes occupations ? » C’est sur ces entrefaites, lorsqu’il en était encore à réorganiser sa vie, et lorsque la landgrave cherchait toujours un séjour propice aux études de son fils, que le mariage de la princesse Wilhelmine vint changer toutes les combinaisons. Caroline allait elle-même à Pétersbourg avec ses trois filles, et elle proposa à Grimm d’y aller de son côté en y conduisant le prince Louis. Grimm accepta, comme il avait accepté pour le voyage d’Angleterre, en donnant à comprendre qu’il faisait le sacrifice de tous ses intérêts et qu’il aimerait bien savoir ce que cela lui vaudrait. En termes soigneusement couverts, bien entendu : « Je n’ai qu’un souci, je ne voudrais pas perdre ma Correspondance. Le désordre qui y règne depuis quelques années n’est pas propre à me conserver mes pratiques. J’ai même essuyé plusieurs pertes à cet égard l’année