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s’ennuyer ? La vie pour les princes ne doit-elle être qu’un changement de dissipations et de plaisirs ? Et nos devoirs, sont-ce des amusemens ? C’est actuellement que la vie du prince est un ennui continuel, même au milieu des plaisirs, parce qu’il faut aux hommes de l’occupation pour supporter les amusemens, et de l’amusement, du délassement pour supporter le travail. » La meilleure preuve que Grimm méritait la confiance dont la landgrave l’honorait est la discrétion qu’il s’était imposée quant à ses propres sentimens philosophiques. La princesse, bien que libre esprit, avait redouté le zèle irréligieux d’un homme si étroitement lié au parti encyclopédique ; il s’était hâté de la rassurer : « Ne redoutez rien, madame, je vous en supplie, de mon apostolat, et ne me croyez pas dévoré du zèle de la maison du Seigneur. » Grimm, enfin, ne craint pas d’aborder avec la landgrave les questions les plus délicates que puisse soulever la surveillance d’un jeune homme. « Le prince touche au moment où les passions se développent, il verra des mœurs de toute espèce, il se trouvera dans des circonstances critiques, il les fera peut-être naître : que faut-il faire ? Faut-il être sur ce point d’une sévérité sans restriction ? Faut-il ignorer ce qui se passe en lui et autour de lui à cet égard ? Faut-il borner tous ses soins à rompre les mesures des autres et les siennes propres dans ces occasions, sans avoir l’air de savoir ce qui se passe, ou faut-il être son confident sur tous les points et borner le zèle à ce que sa santé et son tempérament ne reçoivent aucune atteinte ? J’avoue, madame, qu’il me répugnerait si fort d’avoir sur quoi que ce soit une vue cachée, qu’il me parait si important de parler toujours naturellement et d’agir toujours franchement, que, si je ne consultais que moi, la vérité serait toujours et en tout sujet sur mes lèvres comme elle est dans mon cœur. Je crois d’avance que cela s’accordera avec les vues de Votre Altesse ; vous ne voulez pas, madame, donner un gouverneur, mais un ami à monseigneur le prince héréditaire, et je me sens beaucoup plus de vocation pour ce dernier rôle que pour le premier. »

Le voyage d’Angleterre dura deux mois et demi. Grimm rejoignit à Londres le prince qui arrivait de Hollande. Ils virent beaucoup de choses en peu de temps, la capitale d’abord, puis la province. A la cour, les voyageurs se trouvèrent en terre allemande, la mère du roi étant une princesse de Gotha, la reine une Mecklembourg, et George III le successeur de rois qui avaient gouverné l’Angleterre sans en savoir la langue. C’est en latin que George Ier et George II conféraient avec leurs ministres. Le parlement était malheureusement en vacances et la société anglaise à la campagne ; nos touristes abrégèrent donc le séjour de Londres pour visiter Portsmouth, Plymouth, les manufactures de