Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 72.djvu/574

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quitte pas d’un pas son épouse, et cela fait la plus belle amitié du monde. Dieu veuille qu’elle soit de durée, car, comme dit l’autre, la vie de l’homme est longue ! » Pour « la mouche, » elle était arrivée au comble de ses vœux. Grimm se rengorgeait, disait-il, d’avoir toujours conservé une foi robuste au milieu des plus grandes inquiétudes. Il n’était plus étonné que les dévots fussent si orgueilleux, éprouvant en lui des mouvemens tout semblables. On ne demandera pas s’il fut de la noce ; il avait été à l’action, il méritait d’être à l’honneur. Pourquoi faut-il ajouter que ce bonheur de l’ambition satisfaite ne dura qu’un moment pour la mère, pour la fille et pour lui ? La landgrave Caroline mourut six mois après le mariage de sa fille, et Wilhelmine ne lui survécut que deux ans.


En courant au mariage du tsarowitz comme au dénoûment d’un chapitre de la vie de Grimm, j’ai laissé de côté plusieurs incidens de son histoire auxquels il me faut maintenant revenir. Grimm ne s’était pas seulement occupé de l’établissement des filles du landgrave, il avait aussi pris part à l’éducation du prince héréditaire de Hesse ; c’est avec lui qu’il fit le voyage de Pétersbourg pour les noces de Wilhelmine, et ce voyage avait été précédé d’un autre dans lequel Grimm avait également accompagné le fils de sa protectrice.

Le prince Louis, en 1771, avait dix-huit ans. Il avait fait quelques études à l’université de Leyde, confié aux soins d’un gouverneur, nommé Pellissari, de peu d’esprit, et, comme on le découvrit par la suite, d’un caractère peu sûr. Pellissari avait, en outre, une mauvaise santé, que le climat de la Hollande compromit encore, si bien qu’au moment où il devait compléter l’éducation de son élève en lui faisant faire son tour d’Europe, il fut obligé de remettre cette tâche à d’autres mains. C’est alors que la landgrave s’adressa à Grimm et le pria d’accompagner son fils en Angleterre. Non pas précisément en qualité de gouverneur ; ces fonctions officielles étaient confiées à M. de Rathsamhausen ; Grimm devait être, près du prince, quelque chose entre un mentor et un ami. On avait pensé et avec raison qu’un esprit aussi cultivé et un diplomate aussi avisé que notre philosophe ajouterait beaucoup au profit du voyage que le jeune homme allait entreprendre. Grimm, de son côté, ne pouvait qu’être flatté d’une si grande marque de confiance ; il devait même accueillir avec un certain empressement une proposition qui l’enlevait à un travail dont il commençait à être las et qui lui ouvrait la carrière du côté des cours et des services de cour. Il se garda donc bien de refuser ou même de paraître hésiter, mais il sut faire valoir son dévoûment, souligner les sacrifices auxquels il se soumettait. La lettre suivante, curieuse par les détails qu’elle