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aussi rêvé cette union. Passant à Berlin quelques mois après, il fit la connaissance du prince royal, et cultiva depuis lors cette relation en s’autorisant de l’amitié de la mère pour écrire de temps en temps à la fille. La landgrave ne laissait pas de mettre quelquefois la franchise de Grimm à l’épreuve par la sincérité avec laquelle elle s’exprimait sur les défauts de la princesse de Prusse : la jeune femme se tenait mal, elle bredouillait en parlant, elle n’aimait pas la lecture. La mère n’offensait pas moins son correspondant en se félicitant, après six mois de mariage, que Frédérique fût encore aimée de son époux. « J’ai été très choqué de cet encore, s’écrie-t-il, et le prince perdrait trop dans mon esprit s’il ne l’aimait toujours, toujours. Car pour elle, c’est aussi ma passion et tout de bon. Je suis confus de la lettre dont elle m’a honoré… Si cette princesse n’est pas toujours heureuse, je ne veux jamais le savoir, cela me donnerait trop de chagrin. Mais, pour Dieu ! qu’elle nous donne un prince avant la fin de l’année prochaine ! Je suis fort content aussi qu’elle lise tous les jours une heure à haute et intelligible voix ; cela est essentiel, car on est très malheureux de ne pas comprendre ce que dit une grande princesse, et l’on ne peut pas toujours lui dire : Répétez-moi cela. Si j’avais l’honneur d’être son maître, je lui apprendrais peut-être ce que je ne sais pas moi-même, l’art de bien lire et de bien parler[1]. » Quelques mois encore, hélas ! et Grimm dut bien rabattre de ses prétentions en fait de bonheur domestique pour la princesse : « Je veux bien, madame, avoir autant d’indulgence pour le prince que Votre Altesse, et ne pas traiter le chapitre de la fidélité conjugale avec une pédanterie dont notre siècle ne s’accommode pas, mais c’est toutefois à deux conditions ; la première que la santé de la princesse ne coure jamais aucun risque ; la seconde qu’à proportion qu’on a des reproches à se faire, on redouble de soins, de procédés et d’attentions, car celui qui serait capable d’affliger un cœur comme celui-là risquerait de perdre entièrement mes bonnes grâces. J’ai pris bonne opinion de ce prince, et je serais désolé d’avoir à en changer. »

Il n’est pas aisé de suivre tous les projets matrimoniaux dont Grimm entretient la landgrave, et qui se font, se défont, s’enchevêtrent. D’autant plus que le négociateur n’embrasse pas seulement dans ses combinaisons les filles de sa protectrice. Caroline a une nièce, fille de son frère, le prince de Deux-Ponts. Grimm, qui ne doute de rien, s’est mis en tête de faire épouser à cette nièce l’empereur même, déjà veuf de deux femmes. Il voudrait qu’on en parlât

  1. « Il pense et s’exprime fortement, avait dit Mme d’Épinay dans le portrait de son ami, mais sans correction ; aussi personne en parlant mal ne se fait mieux écouter. »