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maintenant le correspondant particulier. Trois ans plus tard, ce sont des relations semblables formées avec la landgrave de Hesse. D’autres voyages le conduisirent à Berlin et à Pétersbourg ; Frédéric et le prince Henri l’honoraient de leurs lettres ; Catherine le traitait sur le pied de la confiance et de la familiarité. Et les brillantes accointances conduisirent aux solides avantages : Grimm devint ministre de la cour de Saxe-Gotha à Paris ; la landgrave lui confia son fils dans des voyages en Angleterre et en Russie ; enfin, quand la révolution eut dépouillé Grimm de ses places et l’eut réduit à la misère, Catherine vint à son secours avec une inépuisable générosité. Telle est l’esquisse de la seconde moitié de la vie de notre écrivain, de ce qu’on pourrait appeler sa carrière politique ; il nous reste à y entrer avec plus de détails au moyen de ses correspondances privées avec les souverains.


III

La mauvaise grâce avec laquelle Frédéric répondit longtemps aux avances de Grimm ne parvint pas à rebuter celui-ci, et Dieu sait cependant combien le roi se montra récalcitrant ! Si la Correspondance était faite pour quelqu’un, il semblait que ce fût pour un monarque poète, écrivain et philosophe ; il n’en fallut pas moins un siège en règle pour l’amener à la recevoir. A peine la paix de Hubertsbourg était-elle signée, que le chroniqueur, comptant sur les loisirs dont le guerrier allait jouir, fit jouer les influences dont il disposait. Il s’adressa à la fois à la reine de Suède, sœur de Frédéric, et à la duchesse de Saxe-Gotha. Et dans quels termes d’ardeur tout ensemble et d’humilité n’implorait-il pas leurs services ! « Je sais tout ce qu’on peut dire sur la témérité de ce projet, écrit-il à la duchesse, et s’il n’y avait pas le Rhin entre le roi et moi, je crois que je mourrais de peur d’avoir osé le concevoir ; mais aussi quels ressorts n’emploie-je pas pour le faire réussir ! Et lorsque je paraîtrai devant le héros du siècle sous la protection de Votre Altesse, et me vanterai de celle de la reine de Suède, ne dois-je pas compter sur une indulgence capable de rassurer le plus timide ? Je regarde la permission d’offrir mon travail à Sa Majesté comme le plus grand bonheur qui puisse m’arriver ; ainsi je ne mettrai point de borne à tout ce que Votre Altesse sérénissime voudra bien faire pour moi dans cette occasion. Cependant, madame, je n’oublie point l’excès de vos bontés, et ce souvenir qui me trouble et m’enchante devrait me faire trembler que vous ne les portiez au-delà de tout ce que j’oserais désirer ou que je pourrais jamais mériter[1]. »

  1. Lettre du 31 mars 1763 (inédite).