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(le duc d’Orléans) que j’espère recevoir ces jours-ci. Ne parlez de mes projets à personne ; du secret dépend peut-être leur réussite. »

Au lieu d’une simple correspondance politique, ce fut d’une mission diplomatique que Grimm fut chargé. Les péripéties de la guerre avaient mis la ville de Francfort dans la nécessité d’adresser de nombreuses réclamations à la cour de France, et avaient fait comprendre aux magistrats de cette cité l’avantage d’avoir à Paris un envoyé régulièrement accrédité. Grimm était encore à Genève lorsqu’il reçut sa nomination d’envoyé de la ville libre de Francfort, aux appointemens de 24,000 livres par an. Quel changement de fortune pour le pauvre étranger échoué à Paris dix ans auparavant ! Le voilà « monsieur l’ambassadeur, » comme Diderot se plaît désormais à l’appeler. « M. Grimm est très content de sa nouvelle carrière, écrit Mme d’Épinay à M. d’Affry ; il a très bien réussi auprès du ministre, sa besogne lui plaît et l’occupe sans l’excéder. Si l’on en excepte un jour par semaine qu’il passe à la cour, nous menons la même vie et nous le voyons autant qu’avant mon voyage. » Cet heureux début ne tarda pas à être troublé. Il y avait à peine un an que le représentant de la ville libre remplissait ses fonctions lorsque ses lettres à Mallet furent interceptées à la poste. Il s’y moquait du comte de Broglie, le capitaine Tempesta, comme il l’appelait, « qui a fait une marche diablement savante pour parvenir à se faire prendre ses six pauvres petites pièces de canon ; » il y critiquait la politique de la cour et les opérations de la guerre, et fut dénoncé comme traître et espion. En vain le duc d’Orléans essaya-t-il d’intervenir : tout ce qu’il obtint fut que son protégé pût rester en France. Le bruit finit par se calmer et l’affaire par s’oublier, mais Grimm avait dû se démettre de ses fonctions de ministre accrédité.

Il n’était pas homme, du reste, à se laisser abattre par un échec ; dès l’année suivante, nous le voyons renouer ses fils. Son ami, le marquis de Castries, ayant été grièvement blessé dans la campagne de Westphalie, Grimm courut lui donner ses soins. « C’est toujours lui, s’écrie le bon Diderot ; il est parti sans que j’aie en le temps de l’embrasser, à deux heures du matin, sans domestiques, sans avoir mis ordre à aucune de ses affaires, ne voyant que la distance des lieux et le péril de son ami. » Le dévoûment est incontestable ; il ne cachait, il ne pouvait cacher aucun calcul. Seulement, — et nous avons ici tout le caractère de Grimm, — la générosité du premier mouvement n’excluait pas chez lui les combinaisons. Il revint par Gotha où il revit la duchesse Louise-Dorothée, dont il avait déjà fait la connaissance, à ce que je présume, en 1753, qu’il comptait au nombre des abonnés du journal manuscrit, et dont il va devenir