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sont mal armées. Elles ont sans doute des armes et de l’artillerie, mais on ne combat pas sans hommes, et il m’est pénible de songer que le monde m’oblige à tenter quelque chose d’important, qu’il compte les galères dont je dispose, sans s’inquiéter de la qualité de ces vaisseaux. Le fâcheux état dans lequel arrivent les Vénitiens ne serait rien encore, si le plus grand désordre ne régnait dans leur flotte : chaque galère tire de son côté à sa guise. Vous voyez la jolie chose qui nous attend quand il nous faudra combattre. »

Les galères de Candie dissipèrent-elles cette fâcheuse impression ? On en peut douter, car ces galères, comme celles de Veniero, manquaient de soldats. C’était toujours la partie faible des armemens de la république. Les Vénitiens prétendaient-ils donc affronter les Turcs avec 80 combattans par galère ? « Nos rameurs, répliquait leur général, sont tous chrétiens et volontaires : au moment de l’action, nous leur distribuerons des armes. Nous aurons ainsi plus de combattans que les autres. » L’argument parut à bon droit peu convaincant. Don Juan insista pour renforcer à l’aide de sa propre infanterie les garnisons des galères vénitiennes prises au dépourvu. A chaque campagne entreprise en commun, en 1570 comme en 1538, la proposition avait été faite : repoussée ou acceptée avec une secrète méfiance, elle révolta toujours l’orgueil des généraux habitués à paraître en maîtres dans l’Adriatique. Le grand conciliateur, Marc-Antoine, intervint, et Veniero céda. Don Juan parait en avoir éprouvé un véritable soulagement : ses appréhensions n’étaient pas feintes et c’était du cœur le plus sincère qu’il pressait ses alliés de ne pas refuser le secours indispensable qu’il leur offrait. Le 9 septembre, il écrit à Toledo : « Messieurs les Vénitiens, — la phrase, on le reconnaîtra, n’a rien de bien cordial ; elle indique à elle seule l’état intérieur de la flotte, — se sont enfin décidés à prendre sur leurs galères 4,000 fantassins de Sa Majesté 1,500 Espagnols et 2,500 Italiens. On est occupé à les leur verser. De plus, ils attendent les gens qui leur viennent de Calabre. » Ces gens, en effet, arrivèrent à Messine, avant le départ, au nombre de 2,000 : ils étaient conduits par Prospero Colonna. 2,000 Calabrais et 25 soldats du roi par galère portèrent à un chiffre très respectable l’infanterie embarquée sur la flotte vénitienne. Seulement, comme le fait observer avec toute raison le père Guglielmotti, « il était dur pour les Vénitiens d’être obligés d’admettre dans le sein de leurs meilleures forteresses une garnison étrangère suspecte et les armes en main[1]. »

  1. Marcantonio Colonna alla battaglia di Lepanto, por il P. Alberto Guglielmotti teologo casanatense e provinciale dei predicatori. Firenze, 1862.