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on peut y compter, ne perdra pas un instant pour échauffer de son zèle les cœurs hésitans et les conseillers timides. Don Juan rassemble sur la capitane plus de soixante personnes qu’il appelle, par égard pour leur rang ou pour leurs fonctions, à délibérer : Marc-Antoine Colonna, Sébastien Veniero, don Louis de Requesens, Pompeo Colonna, Onorato Gaetano, Frnncesco-Maria de La Rovère, Alderano Cibo, Alexandre Farnèse, Stefano Motino, Paolo-Giordano Orsino, Ascanio della Corgnia, Gabrio Serbelloni, Milanais, général de l’artillerie, le nonce Mgr Paolo Odescalcho, Michèle Bonelli, neveu du pape et frère du cardinal Alessandrino, jeune homme « que le caprice de la fortune, dit De Thou, a tiré du métier de tailleur, pour l’élever presque à la dignité de général d’armée. » J’omets à dessein plusieurs noms : nous les retrouverons plus tard. C’est le premier conseil, il sera suivi de bien d’autres.

Le nonce Odescalcho a mission expresse du saint-père de décider don Juan à combattre. Pie V, au nom de Dieu, promet à don Juan la victoire : la chose a été révélée à un grand nombre de serviteurs de Dieu, notamment en Espagne, à Venise et aux Camaldules. Le nonce apportait deux prophéties qu’il était impossible de mettre en doute. Le pape lui-même s’en rendait garant. L’une venait de saint Isidore, archevêque de Séville : elle décrivait dans le vainqueur prédit la personne de don Juan de telle façon que les plus incrédules ne sauraient s’y méprendre.

Quelque déférence qu’exigeât le caractère auguste d’un envoyé du saint-père, le roi Philippe II n’avait pourtant point voulu abandonner son jeune frère tout entier à des conseils spirituels dont il était permis de redouter la véhémence. Don Juan consulterait au besoin son confesseur, le frère Juan Machuca franciscain. La sollicitude royale ne s’en était remise qu’à elle-même du choix si important de ce directeur de conscience : le frère Machuca, fidèle à ses instructions, devait rappeler constamment à don Juan les graves intérêts que le généralissime de la ligue tenait dans ses mains. Que pouvait cependant le malheureux moine contre la fougue généreuse qui emportait un cœur de vingt-quatre ans ? Les partisans d’une action immédiate n’avaient-ils pas beau jeu contre sa prudence quand ils proposaient au fils de Charles-Quint l’exemple du jeune duc d’Anjou, — le vainqueur de Jarnac et de Moncontour, le futur Henri III, — « qui ne s’amusait pas, disaient-ils, à languir dans l’oisiveté, qui n’allait point à l’armée pour ne rien faire et pour s’y donner simplement en spectacle, mais qui maniait les armes, qui s’exposait à toutes sortes de périls et qui, presque au sortir de l’enfance, s’était fait un nom célèbre dans tout l’univers. »

« Vous aurez à supporter un grand blâme, faisait dire le pape à