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opinions et dans ses procédés une certaine rudesse hautaine, un peu inattendue de la part d’un protecteur tout-puissant à l’égard d’un ancien client. Le tsar lui-même, dans un mouvement d’irritation, a tenu à témoigner ses ressentimens au prince Alexandre de Battenberg en le rayant assez brusquement des cadres de l’armée russe où il figurait, en lui enlevant le titre de colonel d’un régiment de chasseurs. Il est certain que cet acte de colère de l’empereur Alexandre III, sans nuire peut-être à la popularité du prince bulgare à Philippopoli ou à Sofia, le place dans une situation au moins difficile vis-à-vis de la diplomatie, et qu’il dénote de la part de la Russie l’intention bien arrêtée de ne point transiger avec la révolution des Balkans. L’Angleterre, au contraire, paraît être depuis quelque temps assez disposée à se prêter à tout en Orient. Elle est de l’humeur la plus conciliante et la plus bienveillante, non seulement pour le prince Alexandre, qui est allié à la famille de la reine Victoria, mais pour la Bulgarie et pour sa révolution. Lord Salisbury, qui a été, avec lord Beaconsfield, un des créateurs de l’état présent des Balkans, un des promoteurs de la division de la Bulgarie, lord Salisbury, dans son dernier discours au banquet du lord-maire, à Guildhall, s’est exprimé d’un ton assez dégagé sur toutes ces affaires. Il n’a point hésité à déclarer que, dans sa pensée, le traité de Berlin pouvait bien avoir en pour objet de préparer l’union bulgare, qu’il avait fait son œuvre plus vite qu’on ne le croyait, et que tout ce qu’on pourrait essayer de rétablir aujourd’hui contrairement au vœu des populations risquerait d’être artificiel et sans durée. Il va, il est vrai, la question des compensations que réclament la Serbie et la Grèce, qui ne laissent pas d’être un embarras : le premier ministre de la reine ne s’y arrête que pour s’en étonner, — ce qui n’est pas absolument une solution. Bref, lord Salisbury ne demanderait pas mieux que de substituer l’influence anglaise à l’influence russe dans les Balkans, et il n’a probablement pas été fâché de saisir cette occasion de se montrer favorable à l’union bulgare, au moment où le cabinet de Saint-Pétersbourg se replie sur le terrain des traités.

Entre la Russie et l’Angleterre, dont les dispositions semblent pour le moment si différentes, l’Autriche a sans doute, elle aussi, sa politique, la politique d’une puissance qui a plus que jamais ses intérêts en Orient, qui entend les protéger autant que possible, sans se séparer des deux autres empires du Nord avec lesquels elle reste en alliance. Le comte Kalnoky a eu à se prononcer, il y a quelques jours, devant la délégation hongroise, plus récemment devant la délégation cisleithane, et sûrement il n’a rien dit de trop. Il s’est expliqué avec la réserve calculée d’un homme qui veut tout ménager, tout concilier, qui ne se prêtera bien évidemment à aucune solution trop hasardeuse, à rien de ce qui pourrait affaiblir la position et l’influence