Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 72.djvu/470

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Il viole à présent ; tant mieux ! .. Le jeune homme a encore des progrès à faire ! » Nous résisterons même à la tentation plus forte, de récuser Olivier comme peu vraisemblable, ou de l’expulser comme déplaisant, sous le prétexte qu’étant comblé de bienfaits, il est ingrat, qu’étant amoureux il est encore méchant, et que, méchant et ingrat, il l’est presque sans lutte ni remords : au contraire, après réflexion, nous accepterons ce grand reste de férocité, quelque pénible qu’en soit le spectacle, comme une marque de naturel ; nous saurons gré à l’auteur de sa franchise et de son courage, de sa témérité même contre les habitudes du théâtre, selon lesquelles un pareil jeune premier est proprement un monstre. Est-il besoin de dire ensuite que nous n’aurons pas de peina à goûter la délicatesse et la fermeté de Mlle Bruel ? La bonhomie de son père nous reposera ; les travers de sa tante nous permettront de rire ; la violence et la cautèle du créancier Gagneux ne nous offriront qu’une saine amertume. D’ailleurs, si la structure du drame est simple et solide, si la distribution en est claire, — elle peut le paraître aujourd’hui surtout que nous savons qui est Olivier, et que nous n’avons pas besoin d’attendre comme en 1863, le récit de Baudry au troisième acte pour connaître la condition de ce mystérieux personnage, — si les scènes sont ouvertes, établies, conclues, reliées ensemble avec force, comment arriverait-il que nous ne fussions pas pris par ce drame et jusqu’au bout, sans relâche, maintenus dans l’admiration !

Hélas ! c’est la forme qui nous laisse nous défendre et nous reprendre : non qu’elle soit négligée ; au contraire, elle n’est que travaillée ave trop de suite, d’après un système, et ouvrée trop curieusement. Quelques déclamations d’Olivier sur ses contemporains, qui sont « les Guèbres de l’or, » et sur l’or, « dont les pièces sont rondes pour ressembler à toute la terre et plates pour ressembler à tous les hommes ; » — ou de Baudry, qui vocifère : « Nous verrons si mes rides me valent pas les haillons ; » — ou même du paisible Bruel, qui s’écrie : « Quand ce n’est pas aux souliers qu’on a de la boue, c’est à l’inné, » — quelques tirades de ce goût pourraient facilement se négliger : aussi bien le romantisme de M. Vacquerie est à l’ordinaire plus sobre. Que dis-je ? En maint passage, dans les entretiens d’Andrée avec son père, notamment, et de Baudry avec Andrée, il se permet d’être fort avec simplicité ou délicat tout uniment ; il s’élève même, dans quelques discours de Baudry et d’Olivier, jusqu’à une mâle et concise éloquence, jusqu’à un lyrisme sincère, et ne se met pas, malgré l’occasion, à bouillonner en billevesées ambitieuses. Mais le plus souvent il est précieux : il est vigoureux précieusement et précieusement subtil. Exact à se surveiller, ennemi de tout abandon, il affecte même d’être simple. Il sème de sentences et de concetti, en des accès de passion, les paroles de ses héros ; en des circonstances familières, il leur impose une rigueur d’expression parfois ingénieuse, parfois heureuse, mais qui