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pourtant ils ne sont pas près de chômer. Le temps est loin encore où MM. Zola et Busnach, pour braver de nouveau l’indestructible censure pourront se proposer de mettre face à face des gendarmes et des directeurs, des acteurs, des auteurs dramatiques en grève Ici la demande ne fait pas défaut à l’offre, ni, Dieu merci ! l’offre à la demande ; même la demi-saison n’est pas morte saison.

Voilà douze ans déjà que M. Pau ! Ferrier s’est annoncé, rue Richelieu par une gentille petite pièce, Chez l’avocat[1]. Il s’est dépensé depuis, sur des scènes de genre : je ne sache qu’il y ait rencontré de succès plus décisif que celui de la Doctoresse, composée en collaboration avec M. Henri Bocage et représentée maintenant au Gymnase. L’idée de cet ouvrage est d’une comédie de mœurs ; elle se distribue en trois actes avec clarté ; elle est traitée en farce avec drôlerie ; même parmi des traits heureusement burlesques, parmi d’autres aussi d’un esprit vulgaire et qui se force, quelques-uns conviendraient à l’ordre plus élevé d’où procède la donnée première. Montrer l’équilibre nouveau d’un menace dans les conditions nouvelles que détermine l’accès de la femme aux professions viriles, et particulièrement à une profession scientifique ; montrer comment cet équilibre se rompt ; et comment à la fin l’ancien lui succède et se rétablit, c’est assurément l’objet d’une comédie de mœurs modernes. Elles sont même si modernes ces mœurs, qu’elles existent encore à peine : MM. Ferrier et Bocage évidemment, ont jugé qu’une comédie avancerait sur elles, et que le public n’en verrait pas l’application ; ils n’en ont pas risqué l’entreprise. A l’heure qu’il est, paraît-il, on ne compte encore dans Paris que trois femmes médecins : ces exceptions ne pouvaient guère, de bonne foi servir de prétexte qu’à une farce, où les vérités de détail si elles étaient invraisemblables, seraient mises, aussi bien que les imaginations les plus folles, sur le compte de la fantaisie de l’auteur. Cette farce nous est offerte : loin que nous lui reprochions d’être ce qu’elle est, et non quelque chose de plus noble, sachons-lui gré de présenter ça et là des indications plus fines qu’on n’était en droit de s’y attendre.

Angèle Frontignan, c’est une petite-nièce de Philaminte et d’Armande, tournée aux sciences plutôt qu’au beau langage, et non plus à la spéculation mais à la pratique ; c’est Philaminte ou Armande en 1885, alors que les nuages soufflés par les fauteurs de l’émancipation des femmes se condensent déjà en quelques gouttes de réalité : gare l’averse ! Il n’est même plus besoin, on le sait, qu’elle soit nihiliste ou Yankee pour qu’une jeune fille suive les cours de la faculté de médecine, pour qu’elle brigue le doctorat, voire l’internat des

  1. Voir les Mille et une nuits du théâtre, par Auguste Vitu ; deuxième série. — Ollendorff, éditeur.