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un palais à Rome et en le nommant à l’évêché richement doté de Salisbury. Campeggio avait son plan arrêté d’avance. C’était d’exploiter les sentimens religieux de la reine et d’obtenir d’elle qu’elle consentît à se retirer dans un couvent. Il ne manquait pas d’exemples à citer de femmes de sang royal qui s’étaient soustraites par une résolution semblable aux vicissitudes de la vie politique. Mais Catherine n’y voulut rien entendre. Reine elle avait été et reine elle mourrait, bien que le roi ne voulût plus la voir ni même habiter sous le même toit.

Tous moyens dilatoires étant écartés par la résistance de la reine, les deux cardinaux ne pouvaient tarder davantage à ouvrir le débat pour lequel ils avaient été appointés, la jour donc, ils entrèrent en séance au palais de Blackfriars, entourés du corps entier des évêques ; devant la barre se tenaient d’un côté les avocats du roi, de l’autre ceux de la reine. Henri VIII était présent. Lorsque l’huissier eut appelé la cause, survint une scène que les partisans de Catherine invoquent volontiers en sa faveur, et non sans cause, car elle est empreinte d’une véritable grandeur : cette malheureuse princesse, semblant ne pas voir la cour qui avait mission de la juger, se jeta aux pieds du roi : « Sire, s’écria-t-elle je vous bénis pour tout l’amour qui a été entre nous. Ayez pitié et compassion de moi, car je suis une pauvre femme étrangère à vos états. Je prends Dieu et le monde entier à témoin que j’ai été votre épouse humble, fidèle et obéissante… Épargnez-moi la douleur de ce jugement. Si vous me refusez cette faveur, que votre volonté soit faite : je remets ma cause entre les mains de Dieu ! » Elle se releva et partit aussitôt, quelque effort que ses conseillers fissent pour la retenir. Le roi, tout troublé par cet incident inattendu, ne put se retenir d’admirer une fois de plus la femme qui l’avait tant charmé jadis : « Puisqu’elle n’est plus là, dit-il tout haut à l’assemblée, je dois déclarer, en effet, que jamais épouse n’a été si docile, ni si fidèle ; elle possède toutes les qualités que comporte son rang. » Les assistans crurent que l’affaire se terminait par une réconciliation. Mais Henri VIII n’était pas homme à céder longtemps aux émotions les plus légitimes. Peu après, la cour se réunit de nouveau, et, cette fois sans la présence de Catherine. Les conseillers du roi exposèrent le cas. Catherine avait été la femme du prince Arthur ; c’était un fait reconnu par la bulle du pape Jules II, qui avait accordé la dispense ; elle n’avait pu épouser le frère de son premier mari, puisque les canons de l’église le défendaient. Le prétendu mariage du roi était donc nul. Campeggio, qui était venu de Rome tout exprès pour arranger l’affaire par une voie détournée, ne pouvait ainsi laisser mettre en échec le pouvoir du souverain pontife à accorder une dispense, Il leva la séance en déclarant qu’il en référerait au pape. Les