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que les Espagnols attaqueraient le Roussillon et la Cerdagne. Il avait cependant promis sa fille, sans croire s’engager beaucoup, puisqu’elle n’avait que trois ans et que le prince Arthur était de quelques mois plus jeune. Henri VII prenait ce projet tout à fait au sérieux : il avait eu soin de recommander que la jeune infante apprît l’anglais et qu’en l’habituât dès lors à boire du vin, ayant appris que les infans de la maison d’Espagne n’avaient d’autre boisson que l’eau, ce qui ne convenait pas, à son avis, sous le climat brumeux du Nord.

Treize années s’écoulèrent ; il n’était pas rare que les projets de mariages royaux fussent faits et défaits plusieurs fois dans ce laps de temps. Ferdinand avait toujours refusé, bien qu’il en eût été souvent sollicité, d’envoyer sa fille en Angleterre, où elle aurait reçu une éducation mieux appropriée à sa destinée future. n’y eût-elle appris que la langue de son époux. Cependant la situation du roi Henri VII s’était consolidée ; grâce à de sévères économies, son trésor était plein ; sa flotte en bon ordre ; son armée bien disciplinée et pourvue d’une bonne artillerie. Il avait réduit à l’impuissance les factions hostiles, combattu avec succès les prétendans qui lui voulaient disputer le tronc Le pape et l’empereur étaient ses alliés ; il était en paix avec le roi de France, qui offrait de marier le prince de Galles à une princesse mieux dotée que Catherine d’Aragon. Ferdinand, qui n’avait plus de motif d’ajourner l’alliance projetée, consentit à laisser partir sa fille.

L’enfance de l’infante Catherine avait été triste. Affiliée dès le plus jeune âge à l’ordre de Saint-François par le cardinal Ximénès, élevée entre un père que les soins de la politique occupaient seuls et une mère intolérante, elle avait vécu solitaire à l’Alhambra, au milieu d’un peuple terrifié par la persécution religieuse. Nul prince de sa famille ne l’escorta jusqu’au port d’embarquement. Elle partit seule avec une escorte de duègnes, d’écuyers, de chambellans, dont l’un, spécialement préposé à la garde de la dot qu’elle emportait, avait ordre de ne s’en dessaisir qu’après la consommation du mariage. Son entrée en Angleterre fut aussi brillante qu’avait été triste sa sortie d’Espagne. A peine débarquée à Plymouth, après une traversée longue et pénible qui lui fit jurer de ne jamais plus se remettre en mer, elle fut accueillie avec enthousiasme par la noblesse des comtés environnans ; elle avait du sang de la famille d’York dans les veines ; elle était la future reine ; double motif pour qu’elle fût reçue mieux que ne l’aurait été le roi lui-même. Celui-ci accourut du reste à sa rencontre, accompagné du prince de Galles. La première entrevue ne fut pas sans embarras, car aucune personne de sa suite ne savait un mot d’anglais ni même de français, et les seigneurs anglais ne connaissaient pas davantage l’espagnol. L’étiquette espagnole faillit susciter une autre difficulté. Ferdinand, toujours