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et latines s’était étendue jusque dans ces montagnes. En revanche, les moines exerçaient une influence prépondérante sur le menu peuple, et le roi Ferdinand n’était que trop disposé à s’appuyer sur les moines et sur le peuple pour vaincre les résistances de ceux de ses sujets qui étaient plus éclairés et plus libéraux.

Dans le sud de la péninsule, c’était chez les Maures qu’étaient toutes les écoles, tout le commerce et tous les arts, on peut dire toute la civilisation. Les architectes maures bâtissaient les édifices publics de toute l’Espagne ; ils fabriquaient des armes et des vêtemens, ils fournissaient des artistes, des poètes, des médecins à l’Espagne entière. Leur supériorité intellectuelle était si bien reconnue que les jeunes Castillans allaient à Grenade se former aux belles manières, compléter leur éducation de gentilshommes. Qui pourrait dire ce que serait devenue l’Espagne au XVIIe siècle si cette vieille civilisation arabe s’était mélangée sans lutte, sous des princes tolérans, à la renaissance gréco-latine dont l’Aragon était le théâtre ! Au début du règne de Ferdinand et d’Isabelle, Juifs et Maures se sentaient également menacés, et les hommes intelligens prévoyaient déjà que l’expulsion de ces deux races enlèverait au pays tout ce qui s’y trouvait de science et de poésie, de commerce et d’industrie.

On sait comment Ferdinand et Isabelle accompliront cette expulsion. L’œuvre était à peine commencée lorsque naquit leur cinquième enfant, Catherine d’Aragon, au mois de décembre 1485, dans le château fort d’Alcala. C’était une forteresse et en même temps un sanctuaire dont le cardinal Mendoza était le seigneur et prétendait être le seul maître ; terre d’église, soutenait-il, en la reine elle-même, bien que le château commandât la route de Saragosse à Tolède, ne jouissait d’aucun droit. Mendoza voulut seul enregistrer la naissance de la jeune princesse et seul lui conférer le baptême. Les deux souverains, quelque absolus qu’ils fussent envers leurs autres sujets, n’osèrent trancher la question dans le vif. L’affaire fut soumise à des arbitres qui eurent soin de la traîner en longueur de telle façon que tous les intéressés fussent morts avant que la sentence cm été prononcée.

S’il n’avait eu qu’à s’occuper de la guerre sainte, Ferdinand eût triomphé sans peine du calife de Grenade ; mais bien d’autres ennemis le menaçaient en Europe. Entre la France et l’Espagne subsistaient de petits états qu’il considérait comme dépendances de son royaume : d’une part, la Navarre ; de l’autre, le Roussillon et la Cerdagne. Or le roi de France possédait Perpignan ; il était tout-puissant à Pampelune grâce à une alliance de famille. Ferdinand avait à ménager le Portugal, où la princesse Jeanne, fille unique d’Henri le Libéral, dont Isabelle avait pris la couronne, vivait enfermée dans