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campagnes. Après avoir possédé la moitié de la France, les Anglais ne détenaient plus que Calais sur le continent ; leurs ports étaient bloqués par les flottes françaises. La nation entière était en décadence ; on ne saurait citer de ce temps-là ni un poète, ni un savant, ni un orateur. L’église seule avait traversé cette épouvantable crise sans être diminuée. Au milieu des actes de violence, elle avait toujours su protéger ceux qui lui appartenaient, maintenir son droit d’asile, conserver ou plutôt accroître ses privilèges. Chacun des partis en lutte recherchait son appui. D’année en année le pape pouvait, parler plus haut. Aussitôt entré dans Londres, Henri VII, dont les droits ne valaient pas mieux au fond que ceux de son compétiteur malheureux, n’eut rien de plus pressé que de faire publier en grande cérémonie dans la cathédrale de Saint-Paul, parle primai d’Angleterre entouré de nombreux évêques, la bulle d’Innocent VIII qui le reconnaissait roi d’Angleterre. On prétend qu’il enviait saint Louis à la France et que, pour ne pas être en reste, il voulut faire canoniser son oncle Henri VI. L’hommage qu’il rendait au souverain pontife était insolite. Lorsque le légat du pape avait demandé pareille déclaration à l’un de ses prédécesseurs, le parlement avait fièrement répondu : « Nous ne voulons, ni ne pouvons, ni ne devons permettre que notre seigneur le roi agisse ainsi. »

L’Espagne, au même moment, n’était pas moins dévouée au saint-siège. Ferdinand régnait, en Aragon, Isabelle en Castille. Ni l’un ni l’autre n’avait été appelé au trône par droit de naissance ; cependant ils avaient réussi à s’établir solidement. Leur mariage même n’avait pu s’effectuer en vertu des lois alors en vigueur, car ils étaient cousins au degré prohibé ; mais ils avaient obtenu la dispense du pape. Tout leur avait réussi. Il est vrai de dire que, si l’Espagne était alors prospère, le mérite en devait être attribué surtout aux Juifs dans le Nord, aux Maures dans les provinces du Midi. A la cour du roi Ferdinand, les hommes les plus influens étaient de race juive, convertis au christianisme, mais toujours attachés de cœur aux anciennes croyances de leurs familles. Tous ceux que la naissance ou l’éducation élevait au-dessus du vulgaire avaient conservé le goût de la liberté : nobles chevaliers, magistrats des villes ou professeurs des universités, ils s’intitulaient : Amis des lumières, Amantes de las luces. Les maires, les juges, les principaux personnages de la cour du roi Ferdinand étaient amis des lumières. Ils avaient leurs cortès, leur pacte fondamental, des institutions communales. L’un des articles de la charte d’Aragon disait expressément : « Aucune inquisition ne sera jamais établie. » Ils semblaient presque indépendans en comparaison de leurs voisins des plaines de Castille. Ces tendances libérales étaient favorisées par une culture scientifique et littéraire, car la renaissance des études grecques