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le voit, ne date pas d’hier entre la musique chantante et la musique abstraite, entre mélodistes et harmonistes, et il est également curieux de voir de bonne heure l’éclectisme français tracer sa route entre les deux. Comme toujours, l’abus était né de l’exagération des systèmes. Contemporaine de la scolastique, la polyphonie en avait apporté l’esprit dans la musique, Aucun art, il faut le dire, ne prête davantage à l’abstraction. Cette langue qui n’exprime pas d’idées, qui ne trouve ni modèle dans l’antiquité, ni terme de comparaison dans la nature, semble vouée aux subtilités, aux songes creux, à la logomachie, aux formules vides et stériles, et les primitifs s’en donnèrent à cœur joie. Lorsque cette quintessence de rhétorique pénétra en Allemagne par les Flandres, elle y trouva le terrain particulièrement propice. Les pures combinaisons de mots, où le Français ne voit qu’un jeu d’esprit dont il se lasse vite, ont pour la race allemande un mystérieux attrait. L’Allemand croît à la vertu des paroles et prête aux grimoires une puissance cabalistique. L’influence des sciences occultes est encore reconnaissable aujourd’hui dans les pays d’outre-Rhin, et l’on prétend qu’avant de mettre à la scène la légende du docteur Faust l’alchimiste, Goethe s’adonna pour son propre compte à la recherche du grand œuvre. Rien d’étonnant si la période scolastique de la musique s’est prolongée pour l’école allemande plus que pour ses deux rivales. Depuis longtemps l’Italie et la France ont. cédé au grand courant mélodique, que l’Allemagne, confinée dans ses laboratoires, s’attarde encore à des triturations polyphones. Elle a rêvé de produire l’harmonie par l’enchevêtrement de mélodies superposées, et ses efforts n’aboutissent qu’à détruire harmonie et mélodie, l’une par l’autre.

Comme la scolastique avait pris pour formule le syllogisme, la polyphonie trouva son expression dans la fugue. Dans ce genre de composition, deux phrases exactement symétriques modulant en suis contraire, forment un sujet qui se dédouble, se développe, se renverse, revient sur lui-même, passe successivement d’une partie à l’autre, en alternant avec un contre-sujet qui se meut d’après les mêmes lois. C’est, comme on voit, un procédé de composition reposant n nique meut sur la symétrie, mais doué de cette beauté particulière qui résulte de toute ordonnance symétrique. Au début, l’Italie et l’Allemagne en font également leurs délices. Gabrieli, Frescobaldi, Scarlatti, y excellent avant Haendel et Buxtehude, En dehors du théâtre, toute pièce de musique est construite sur ce modèle. La mélodie sort du cerveau des musiciens année en thème de fugue. Pour cette période de l’art, le mot de Novalis et de Charles Blanc est rigoureusement exact : La musique est une architecture sonore, et j’ajouterai : une architecture en mouvement.