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illustre rejeton d’une longue lignée d’excellens musiciens, héritier de leur science, de leurs traditions, de leur modeste patrimoine, Bach n’a connu la lutte ni pour la vocation ni pour l’existence. Depuis près d’un siècle, sa famille défrayait d’organistes et de maîtres de chapelle les villes et les cours minuscules du nord de l’Allemagne, qui toutes entretenaient alors des musiciens à leur solde. Un artiste portant le nom de Bach était donc assuré par avance du vivre et du couvert ; quant au reste, ces hommes de foi naïve comptaient sur la Providence, et leur mutuelle affection venait en aide à la grâce d’en haut dans les momens difficiles. Pour garder leurs bonnes relations malgré les distances, ils se donnaient rendez-vous chaque année à une sorte de congrès familial qui compta parfois jusqu’à cent vingt membres présens. Au jour dit, organistes, concertistes, cantors, capellmeisters, arrivaient de tous les points de la Franconie, de la Thuringe et de la Saxe. Après un cantique d’actions de grâces, on se communiquait les nouvelles, on causait des emplois vacant on posait les candidatures : les derniers venus faisaient connaissance avec les grands parens, parfois, de cousin à cousine, on ébauchait une idylle, et la journée finissait par une bouffonnerie alors fort à la mode entre artistes, chacun chantant en même temps un air différent, choisi pourtant de manière à s’adapter sur celui du voisin. Ils tenaient leurs grands jours tantôt dans une ville, tantôt dans l’autre ; plus habituellement à Eisenach, dont, le nom latin Isinacum a fourni au bel esprit du temps l’anagramme In musica. C’est dans cette coquette petite ville, au pied de la Wartburg, témoin du tournoi des minnesängers et des premières luttes du protestantisme, que naquit Jean-Sébastien Bach, le 21 mars 1685. Orphelin à dix ans, sous la tutelle de son frère Jean Christophe, organiste à Ohrdruf, il entra au collège de cette ville en même temps qu’il commençait, sous la direction de son aîné, son éducation musicale. On peut croire que le génie précoce de l’élève s’irrita plus d’une fois des routines de la méthode ; plus d’une fois, sans doute, il demanda vainement le pourquoi de ces prétendues règles d’harmonie que transgressent à plaisir tous les compositeurs. Aussi le grand frère tenait-il soigneusement sous clef ses recueils de pièces d’orgue et de clavecin. Mais l’enfant se relevait la nuit, coulait sa petite main à travers les barreaux de l’armoire, tirait à lui le rouleau de musique et le copiait au clair de lune. Tous les biographes, en narrant cette anecdote, attribuent à la jalousie la conduite de Jean-Christophe envers son jeune frère ; c’est qu’ils connaissent peu les habitudes des professeurs de contre-point.

Au gymnase d’Ohrdruf et à l’école Saint-Michel de Lünebourg, où nous le retrouvons quelques années plus tard, Sébastien Bach ne