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cantates d’église ; ce Clavecin bien tempéré qui sent d’une lieue son Jardin des racines grecques, tout l’attirail suranné du pédantisme scolastique, et qui pis est, un brevet de science colossale décerné par les universités d’outre-Rhin, voilà certes plus qu’il n’en fallait pour tenir à respectueuse distance l’admiration des gens du monde.

Celle des gens du métier s’est marchandée longtemps. Au Conservatoire, Bach avait été mis d’emblée à l’index pour son harmonie incorrecte et ses tendances subversives, sans que la proscription officielle lui donnât, d’ailleurs, la moindre saveur de fruit détendu. La malencontreuse perruque avait beau se poser de travers et scandaliser Chérubini par ses écarts, elle n’en restait pas moins perruque pour la jeune tribu romantique. « Dieu vous garde d’une fugue à quatre sujets sur un choral ! » s’écriait Berlioz en sortant d’un concert du Gewandhaus à Leipzig. A quoi le pontife du lieu, Mendelssohn, qui n’entendait pas raillerie sur ce chapitre et qui renvoyait volontiers Berlioz à l’école, aura dû répondre que son confrère voulait parler, sans doute, d’une fugue à quatre parties, la fugue à quatre sujets étant un mur de force encore inconnu dans l’histoire du contre-point. Mais, avec Bach et Haendel, Berlioz n’y regardait pas de si près. Cet infatigable chercheur, cet esprit pénétrant entre tous a passé à côté d’eux sans soupçonner leur puissance. Il lui a manqué la fréquentation des grands contrepointistes du dernier siècle, et rien que cela peut-être, pour prendre place au premier rang des maîtres. Par le tempérament, par l’inspiration, par la profondeur des vues, Berlioz est de la race des plus grands. Meyerbeer n’a ni son originalité ni ses délicatesses ; le sentiment religieux est moins ému chez Mendelssohn, le sens pittoresque moins développé chez Richard Wagner ; la fantaisie de Weber et de Schumann n’a plus évoqué de plus terribles fantômes que ceux de « la course à l’abîme, » de visions plus suaves que les sylphes et les follets du « songe de Faust. » Mais toujours, la mise en œuvre de ces conceptions géniales pèche en quelque point ; l’expression trahit la pensée, la cohésion manque, l’exécution pénible et tâtonnante accuse les lacunes d’une éducation qui s’est faite au jour le jour. Reproche capital, et que j’ai entendu adresser non-seulement à Berlioz, mais, d’une manière générale, à l’école française dans toutes les branches de l’art. Cette dextérité de main, cette plasticité qui a fait défaut à tant de compositeurs d’une valeur incontestable, et sans laquelle cependant l’homme doué des plus magnifiques dons ne sera jamais qu’un poète fourvoyé, cette aisance suprême des grands seigneurs et des grands maîtres, nul ne l’a possédée comme Jean-Sébastien Bach ; c’est à son école qu’il faut