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vivacité de l’attaque qu’il croit avoir affaire à 3 ou 4,000 hommes[1] et que le général Coote ordonne d’arborer le drapeau blanc. 1,424 hommes, dont un général et plusieurs officiers supérieurs, avec huit pièces de canon et 2 obusiers, mettant bas les armes devant quelques centaines de Français, commandés par un simple chef de bataillon, c’était là de quoi toucher le patriotisme français au point le plus sensible, dans la plus légitime et la plus profonde de ses haines. La victoire d’Ostende eut, en effet, un grand retentissement et, tour à tour, Merlin, au nom du directoire, Marie-Joseph Chénier, au nom du conseil des Cinq-Cents, retrouvèrent, pour la célébrer, les accens un peu démodés des fameuses carmagnoles de Barère. On compara Muscar à Léonidas, ses 300 fusiliers aux Spartiates, les dunes aux Thermopyles et les Anglais (ces satellites d’un gouvernement odieux) aux lâches soldats de Xerxès. Marie-Joseph alla même jusqu’à donner la préférence à Muscar sur le héros lacédémonien. Un autre orateur, après cet ingénieux parallèle, fit remarquer combien les victoires de la liberté l’emportaient sur celles de la tyrannie. Enfin, le conseil déclara, comme aux grands jours de la Convention, que les vainqueurs d’Ostende avaient bien mérité de la patrie.

Muscar n’avait jamais été à pareille fête : comme en 1790, son nom retentissait dans les gazettes, mais quelle différence entre la bouffée de mauvaise et basse popularité qui lui avait alors un moment tourné la tête et la bonne et franche odeur de juste célébrité qu’il respirait maintenant ! De tous côtés, les lettres de félicitations pleuvaient sur lui et c’était à qui, du directoire, des ministres, des représentans en mission et de ses camarades ou compatriotes l’exalterait davantage. « Gloire à toi, gloire à les intrépides compagnons ! lui écrivait le représentant Dornier (de la Haute-Saône). Vous avez buriné pour l’histoire une de ces actions dont on ne retrouve d’exemple que dans l’ancienne Grèce, ou la France moderne : heureux présage des brillans succès que la victoire doit encore au nom français sur les tyrans des mers ! Oui, le genre humain touche au moment[2] que le génie de la liberté prépare pour le délivrer d’une peuplade de forbans. Le perfide Anglais va trouver sa ruine sous les coups de nos magnanimes guerriers. »

Ne souriez pas ; c’est à ce ton que les âmes étaient montées alors, et s’il y a quelque emphase ici dans les mots, c’est qu’elle est aussi dans les cœurs et qu’elle les soulève[3]. N’est pas emphatique qui veut, l’est qui peut. Toute cette phraséologie révolutionnaire nous

  1. C’est le chiffre que donne le rapport officiel anglais.
  2. Allusion à la descente projetée de Bonaparte en Angleterre.
  3. A l’époque où le représentant Dornier écrivait cette lettre à Muscar, son fils âgé de seize ans seulement et qu’on appelle encore aujourd’hui Dornier l’Anglais dans la Haute-Saône, était sur les pontons anglais d’odieuse mémoire.