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disséminés au milieu d’un pays qui n’offre de ressources qu’à nos ennemis ; ils finiront bientôt, à moins qu’on ne s’avise de moyens énergiques, par tout envahir, tout saccager et tout inonder de leurs fureurs. Des secours ! des secours ! ou les chouans nous exterminent et avec nous tout ce pays, et avec ce pays la république et avec la république… Je frémis d’horreur[1] ! » Cependant, sur ces instances répétées Tuncq, à la fin, se décide, il arrive, en personne, à la tête d’une forte colonne au secours de son lieutenant, mais, au lieu de le dégager, il se contente d’une vaine démonstration et repart aussitôt, laissant derrière soi le pays plus exaspéré que jamais. Écoutons encore ici Muscar ; cette fois, c’est à Hoche qu’il s’adresse :

« J’ai des vérités affligeantes à vous dire, mon général, lui écrit-il à la date du 23 vendémiaire. Le général Tuncq est venu ici dans l’intention de me secourir, avec une colonne suffisante pour écraser dans peu de jours tous les chouans de ce pays et pour leur enlever les grands magasins qu’ils établissent et qui bientôt échapperont à nos recherches. Quel fut l’effet de son expédition ? Je tremble de vous le dire, général, et je me tairais, si, en ne révélant que la vérité sans aucune passion, je pouvais passer à vos yeux pour un délateur. La colonne de Tuncq a répandu dans le pays la consternation et le désespoir ; elle a doublé par le désordre de sa marche, et par le plus infâme brigandage, le nombre de nos ennemis ; voilà tout ce qu’elle a fait, voilà tout ce qu’elle pouvait faire d’après les dispositions qui la dirigeaient. Sa trace dans le pays, au lieu d’être marquée du sang des brigands, l’est par les larmes des malheureux et par le sang des patriotes. Je crois le général Tuncq assez sincère pour ne pas vous faire ces résultats désastreux de son expédition, et vous jugerez, d’après son rapport même, si son apparition dans le pays lui a été salutaire ou funeste. Mon âme se rouvrait à l’espoir quand, au fort des périls qui me menaçaient, j’ai vu arriver une colonne auxiliatrice. Que je me suis cruellement trompé ! On m’abandonne au milieu de la crise la plus alarmante ; Tuncq qui m’avait juré de revenir en deux jours, reçoit l’ordre en route de se rendre à Nantes. Me voilà donc isolé entre Nantes et Bain, distans de dix-huit lieues, avec deux cent quatre-vingt-dix fusiliers, entouré de milliers de brigands que Tuncq lui-même paraît avoir redoutés avec sa forte colonne. Me voilà réduit à une défensive tout au moins critique, à une inaction déshonorante, à une inutilité absolue. Je ne pourrai fournir aucune escorte aux voitures nationales et aux courriers ni jusqu’à Nantes, ni jusqu’à Bain, parce qu’il faudrait découcher. La seule ressource qui me

  1. Lettre au général Tuncq du 13 vendémiaire.