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régiment qui se scellent un jour de bataille et qui, purifiées au feu de l’ennemi, deviennent indestructibles.

La situation dans l’Ouest n’était plus à beaucoup prés, lorsque Muscar y fut avec son bataillon, aussi grave que dans les derniers mois de 1793. La grande armée vendéenne était déjà détruite et l’insurrection générale, qui avait un instant menacé la convention, réduite aux proportions d’une guerre de partisans. Mais quelle triste et pénible guerre : toujours en l’air, harcelés dans leurs cantonnemens, dans leurs marches, de jour et de nuit, par un ennemi qui n’acceptait jamais le combat que contraint et forcé, qu’il fallait surprendre dans un pays coupé de fossés et de haies, ou couvert de forêts impénétrables, les détachemens républicains s’épuisaient sans succès en mouvemens incessans ! A peine signalait-on sur un point la présence d’un parti qu’il était déjà trois ou quatre lieues plus loin. Croyait-on l’ennemi devant, il se montrait derrière ; au nord, il était au sud.

Ajoutez à ces difficultés celles qui résultaient de l’abominable plan de destruction imaginé par la convention. Le décret du 1er août 1793, ce monument d’ivresse sanguinaire et de barbarie, était encore en pleine vigueur, et c’était à qui des généraux y tiendrait la main avec le plus de rigueur. Turreau venait pour son compte. en moins de trois mois, d’expédier plus de 15,000 brigands, ce qui n’empêchait pas le comité de l’accuser de lenteur[1] et Bouchotte de stimuler son zèle[2].

Huché, dit le boucher de la convention[3], Grignon, Commaire, Duquesnoy, les deux Cordellier, Carpentier, parcouraient la Vendée, devenue par un sinistre jeu de mots le département vengé et rivalisaient d’horreurs, massacrant, incendiant, pillant, n’épargnant même pas les femmes et les enfans. Et le comité de salut public, et les représentans en mission d’applaudir à ces atrocités ! « Vivent les mesures rigoureuses et les hommes qui ont des c.. ! s’écriait

  1. Turreau à Bouchotte. (Archives de la guerre.)
  2. Bouchotte A Turreau (13 février 1794). « Attaque en masse, attaque sans relâche ; détruis tous les endroits propres à servir de retraite et de défense aux rebelles : voilà ce que le comité te prescrit. »
  3. Celui-là valait presque Carrier : pour tirer des aveux des paysans qu’il rencontrait, il se donnait à eux pour un chef de chouans ; après quoi, il se jetait sur eux comme une bête fauve et les sabrait, hommes et enfans, de sa propre main. (Voir aux archives de la guerre une lettre du commissaire Pilley.) Un jour, il entre dans une maison où ses soldats venaient d’assassiner un paysan ; il s’attable et dit à la fille de ce malheureux d’aller lui chercher de la salade dans le jardin où se trouvait le cadavre de ton père encore tout chaud. Comme elle hésitait : « Dépêche-toi b.., lui dit-il, ou je te prends, je le f… sur le cadavre et je le tue ensuite. » (Archives de la guerre, 6 octobre 1794.)