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lequel avait ordonné au procureur de la commune de dénoncer cette infraction uns lois. Un autre député, M. d’André, parlait dans le même sens et, comme conclusion de ce débat, rassemblée décidait que son président, écrirait au roi pour demander la remise de Muscar aux juges qui devaient connaître de son délit, s’il était coupable !

En d’autres termes, le pouvoir législatif prenait parti pour un soldat mutin contre ses chefs.

La Tour du Pin, si faible qu’il se fût déjà montré dans plus d’une occasion, ne pouvait accepter cet humiliant désaveu. Le lendemain, 17 avril, au début de la séance, il faisait parvenir au président cette réponse polie, mais fort nette : « Il y a plus de six semaines, y était-il dit, que j’ai prévenu les décrets[1] de l’assemblée nationale en ordonnant de surseoir à tous les jugemens militaires. M. Muscar a été le principal moteur de l’insurrection de Vivarais. Lorsque ce régiment a été envoyé à Verdun, M. Muscar a été transféré dans la citadelle de Montmédy. Cet homme, infiniment dangereux, n’a cessé de donner des inquiétudes, et ce court exposé suffira pour vous prouver que je n’ai en d’autre intention que de prévenir des insurrections nouvelles. » Et le ministre ajoutait, pour finir, une réflexion qui ne manquait certes pas d’opportunité : « Permettez, monsieur le président, que, par votre organe, j’observe qu’il y a danger à ce que les municipalités se mêlent de ce qui concerne la discipline militaire et qu’il serait important que l’assemblée rendît un décret sur cet objet. »

La leçon était claire et ne s’adressait pas seulement aux municipalités, elle visait surtout l’assemblée, qui, se sentant dans son tort, ne la releva pas et se déclara satisfaite des explications du ministre. C’était un succès pour ce dernier ; pour une fois qu’il avait su regarder ses adversaires en face et les rappeler à la discipline, il les avait fait reculer. Mais les événemens se précipitaient et l’anarchie, provisoirement vaincue, n’allait pas tarder, sous la pression des clubs et des journaux, à prendre une éclatante revanche. A quelque temps de là, le 16 novembre 1790, elle arrachait au roi la démission de La Tour du Pin et son remplacement par un homme résigné d’avance à toutes les capitulations. L’élargissement de Muscar s’imposait à la nouvelle administration comme une des suites forcées du mouvement qui l’avait portée aux affaires. Où La Tour du Pin avait essayé de résister, il était fatal que Duportail, la créature et l’ami de La Fayette, céderait ; si son honneur de soldat le lui défendait, ses opinions constitutionnelles et son intérêt bien entendu l’y imitaient. Il eut

  1. Ces décrets avaient suspendu tous les effets des anciennes ordonnances sur la discipline, jusqu’à l’organisation des nouveaux tribunaux militaires.