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publication de ce livre, est en somme d’une honorable équité. Il relève sans amertume les traits d’un caractère qu’il ne connaissait que trop bien, l’orgueil joint à la timidité, l’absence de simplicité, l’excès en tout. Pour ce qui est du talent, il reconnaît sans se faire prier le don d’éloquence, le style simple et mâle, l’art infini. Il y a de la rigueur, du parti-pris, si l’on veut, dans l’appréciation que voici, mais y a-t-il de l’injustice ? » En général, on peut dire que le Traité de l’éducation est un recueil de choses vraies et fausses, de contradictions, de beautés grandes et sublimes et d’impertinences piales et inutiles, de choses touchantes et de choses arides, de systèmes extravagans et absurdes et de vues justes, de choses consolantes pour l’humanité et de satires et de calomnies contre le genre humain. Le grand défaut de M. Rousseau, c’est de manquer de naturel et de vérité : l’autre, plus grand encore, c’est d’être toujours de mauvais loi…On admire son talent, mais on est fâché qu’il n’en puisse faire un meilleur usage. M. Rousseau a toujours raison quand les hommes ont tort, et toujours tort quand les hommes ont raison, car il cherche moins à dire la vérité qu’à dire autrement qu’on ne dit et à prescrire autrement qu’on ne fait. On est étonné de voir, à côté d’une idée pleine d’élévation et de charme, une platitude qui n’a pas le sens commun. »

Bien qu’il reconnaisse, et très sincèrement, la supériorité d’un Montesquieu ou d’un Buffon, ses habitudes d’esprit mettent Grimm en garde contre ces génies systématiques. L’auteur de l’Histoire naturelle sera prononcé une tête saine et sage ; son style, on ne fera pas difficulté de le déclarer, « agrandit pour ainsi dire le lecteur ; » mais, d’un autre côté, ses hypothèses indisposent un esprit défiant : " Philosophe peut-être peu profond, ainsi se résume l’arrêt ; écrivain élevé et magnifique. » Pour Montesquieu de même. C’est un grand homme que Charles de Secondat, baron de Montesquieu : c’est un grand génie et de la vertu ; il a mené une vie irréprochable et il a honoré l’humanité par des écrits admirables ; mais pourquoi toujours chercher les causes des événemens dans les institutions des peuples et les formes de gouvernement ? Pourquoi ne pas faire plus large la part des causes fortuites ? Pourquoi déduire avec tant d’assurance et se montrer si sûr de son fait ?

Il n’est pas aisé de résumer l’opinion de Grimm sur Voltaire. D’abord parce qu’il a en continuellement à parler de cet écrivain pendant les vingt années qu’il a rédigé la Correspondance, de sorte que ses impressions ont pu et dû se modifier bien des fois. Ce n’est, en effet, que peu à peu, à force de tentatives nouvelles, en revenant sans cesse devant le public, en l’étonnant, en l’amusant, en l’intriguant à tout propos, en donnant dans une foule de productions la preuve de ses inépuisables ressources, c’est par la variété et