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justice, qui s’efforçait d’introduire la raison dons l’éducation et l’humanité dans l’assistance publique et dans la pénalité. Il est, en général, du parti des novateurs. Il accueille les idées de Beccaria, qu’il garantit « un des meilleurs esprits qu’il y ait en Europe. » Il réclame l’état civil pour les protestans. L’horreur du fanatisme suffirait pour expliquer l’initiative qu’il prit d’une souscription en faveur de la famille Calas, et l’indignation que lui fit éprouver le supplice de La Barre, mais Grimm va fort au-delà de la liberté de conscience puisqu’il pose en principe l’incompétence de l’état en matière de foi. « La religion, selon lui, est chose absolument indifférente pour le gouvernement. » Et encore : » Aussi longtemps qu’on se bornera à ne point décider dans les querelles de religion, on ne fera que la moitié de ce qu’il faut faire. Il faut encore la liberté plénière de déraisonner tout à son aise. »

On assiste, dans la Correspondance, à la naissance de l’économie politique ; à mesure qu’on avance, les questions de cet ordre, population, agriculture, commerce des grains, industrie, impôts, marine, prennent plus de place. « Ce sujet devient tous les jours plus intéressant, écrit Grimm dès 1755. » en 1757 paraît 'l’Ami des hommes de Mirabeau ; le critique lui consacre cinq ou six lettres, ne se lassant pas de reprendre en sous-œuvre, les unes après les autres, les diverses discussions soulevées par le marquis. Sans préjugé aveugle contre les réformes, mais sans épouser non plus toutes les idées des nouveaux apôtres, et avec ceux-là mêmes dont il partage les vues conservant la liberté de son jugement. Tout en se prononçant pour la liberté et contre les privilèges, tout en demandant que l’état ne se mêle point du commerce de ses sujets, il reste en défiance à l’égard des systèmes. Le vieux Quesnay lui est suspect avec ses allures de chef de secte. Ce Mercier de La Rivière, que Diderot avait si follement vanté à Catherine, n’est, au jugement de Grimm, qu’un homme ivre d’eau. La description des « mardis » de Mirabeau est plaisante. « On commence d’abord par bien dîner ; ensuite on laboure, on bêche, on pioche, on défriche, et on ne hisse pas dans toute la France un pouce de terrain sans valeur ; et quand on a bien labouré ainsi pendant toute une journée, dans un bon salon bien frais en été ou au coin d’un bon feu en hiver, on se sépare le soir bien content et avec la bonne conscience d’avoir rendu le royaume plus florissant. » Et après quelques pages d’un vigoureux bon sens sur les ridicules de la nouvelle église : « En général, le mardi rural, dans sa constitution actuelle, me paraît être dans cet état mitoyen de pauvreté d’esprit, d’idées brouillées, de lueurs, d’abandon, de présomption, de confiance, où étaient les apôtres en attendant le Paraclet après l’ascension de leur patron.