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soit permis d’en plaisanter, que le véritable amour est tout autre chose « que ce que disent les hommes quand les dames n’y sont pas. » Elle tient la musique pour une invention céleste ; elle prétend que lorsqu’elle entend une symphonie, il faudrait lui jeter un grand seau d’eau sur la tête pour la faire revenir à elle. Aussi fait-elle un crime à Mme Bergfieldt de tricoter dans les concerts ; est-il convenable de partager son attention « entre un bas et les divines inspirations de Beethoven ? »

Elle a eu grand soin de l’éducation de ses filles ; elle leur a fait apprendre et les arts utiles et les ans d’agrément ; il est bon de mêler à la science du fricot comme aux travaux d’aiguille un peu d’idéalité. La blonde Emmi, qui s’entend connue personne à confectionner des boulettes de viande hachée, a appris à chanter dans le célèbre, mais compromettant conservatoire de musique que dirige Mme Grün-Reifferstein. Elle a suivi des cours où on lui enseignait que Richard III d’Angleterre serait devenu un homme de bien s’il avait eu d’autres parens. Elle a fréquenté le Holbeinklub, où elle s’appliquait à broder des torchons d’après des modèles empruntés au vieil art allemand. Le samedi, elle s’exerçait avec des amies à la conversation anglaise ; d’autres jours, on se réunissait pour lire à haute voix Cabale und Liebe, en se distribuant les rôles à l’amiable, et parmi les cadeaux qui lui sont offerts à l’occasion de son mariage, figure un joli buste de Schiller, monté sur un petit socle noir où se trouve encastré un petit thermomètre, car il faut bien que l’idéal serve à quelque chose. Mme Buchholz elle-même fait grand cas de Schiller, qu’elle admire de confiance, sans l’avoir beaucoup lu. Elle affirme également que le Roi des aunes est un ouvrage immortel et que Faust sera peut-être immortel aussi ; mais elle reproche à Goethe de n’avoir pas composé un plus grand nombre de ces jolies poésies qu’on peut faire déclamer par des jeunes filles. M. Stinde nous apprend que, dans un discours prononcé en 1882, M. Dubois-Reymond, recteur de l’université de Berlin, déplorait le regrettable usage que Faust avait fait de ses puissantes facultés et de sa vie, et le funeste exemple qu’il avait donné. Qui donc l’empêchait d’épouser Gretchen, de légitimer leur enfant et de s’employer au bonheur de l’humanité en inventant la machine pneumatique ou eu découvrant la variation négative des muscles ? Si Mme Buchholz avait eu le plaisir d’entendre M. Dubois-Reymond, elle aurait sûrement approuvé les conclusions de l’éminent professeur.

Mme Buchholz est fière de vivre à Berlin, dans la ville de l’intelligence et de la bière blanche. Elle professe un grand respect pour la science. Elle a des égards pour les instituteurs qui ont gagné la bataille de Sedan, Elle se promet chaque été de lire le Cosmos de Humboldt l’hiver suivant. Elle a entendu dire que les savans modernes expliquent tout par des