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On sait quel fut le sort de la fameuse Armada : des 30,000 Espagnols qui la montaient, plus des deux tiers ne devaient jamais revoir l’Espagne : la tempête eut raison de ce qui échappa aux Anglais et aux Hollandais. Farnèse, pour emprunter un mot de l’amiral anglais Drake, était pendant tout le temps comme un ours à qui on a pris ses petits. En vain avait-il répété cent fois que sa flottille et ses transports ne pouvaient prendre la mer que par un beau temps et sous la protection d’une flotte. On voulait qu’il eût fait ce que l’Armada invincible n’avait pu faire. Dans ce grand malheur de l’Espagne, il devint l’objet d’universels reproches. Dès qu’il avait su que la flotte était devant Calais, il s’était rendu à Nieuport, où il avait embarqué 16,000 hommes, puis à Dunkerque, où il avait mis plusieurs régimens sur des transports. Après deux jours d’attente fiévreuse, on apprit que la flotte espagnole était dispersée.

La santé du prince de Parme s’altéra profondément après la défaite de « l’invincible Armada ; » son découragement était grand ; une noire mélancolie s’empara de lui, il était miné par une maladie que ses amis attribuaient au poison, à un poison qui aurait été administré par ordre du roi d’Espagne. Il fallait donner quelque fiche de consolation à ce maître exigeant ; l’armée qui devait envahir l’Angleterre fut menée au siège de Berg-op-Zoom, la seule ville du Brabant qui fût encore aux états. La place fut très bien défendue par sa garnison anglaise et hollandaise, et le siège traîna en longueur. Le 29 septembre, Farnèse était dans sa tente, quand on lui amena un étranger, Giacomo Morone, porteur d’une lettre de Horace Pallavicini, un Génois depuis longtemps établi à Londres. Farnèse lut la lettre et, s’interrompant au milieu de sa lecture, il se jeta sur Morone et le saisit à la gorge ; puis, réprimant sa colère, il le lâcha : « Si je tenais Pallavicini, je le traiterais comme je viens de vous traiter. Et si je soupçonnais que vous ayez connaissance du contenu de cette lettre, je vous ferais pendre à l’instant. » Le messager protesta de son ignorance et on le renvoya. Que disait cette lettre de Pallavicini ? C’était une ouverture inspirée par le gouvernement anglais. On offrait à Farnèse, s’il voulait conserver pour lui-même la souveraineté des états, l’appui et l’alliance de la reine, à la condition de lui laisser les places qu’elle occupait sur les côtes. Il fallut raconter ces incidens au roi d’Espagne, au risque d’entretenir des soupçons toujours renaissans. Berg-op-Zoom, entouré d’une ceinture d’eau, n’avait pu complètement être investi, et tous les efforts se brisèrent devant la résistance des assiégés, Farnèse se vît forcé à la retraite ; il brûla son camp le 13 novembre et alla prendre ses quartiers d’hiver en Brabant. La campagne suivante fut plus heureuse : au commencement d’avril 1589, les