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qu’il y aurait à faire de l’Angleterre après la conquête. « Il faudra, écrivait le grand commandeur, délivrer la reine d’Ecosse et la marier, pour la brouiller avec son fils et pour satisfaire ses adhérens. Le mari devra être naturellement un neveu de Votre Majesté, et nul ne vaudrait mieux que le prince de Parme, un grand capitaine que ses talens et la part qu’il prendra dans toute cette affaire désignent pour cet honneur. » Dans ce rapport confidentiel, on n’oublia rien : le prince de Parme ne pourrait-il pas devenir gênant par son ambition, comme roi d’Angleterre ? Sans doute, mais il pouvait également devenir inquiétant dans les Flandres, où il était aimé, triomphant ; il était peut-être temps de le faire sortir de ces provinces. Les Farnèse avaient des prétentions au trône de Portugal, et, rois d’Angleterre, ils pourraient chercher à les faire valoir ! À cela, le grand commandeur avait sa réponse ; la reine d’Ecosse n’aurait pas d’enfans. Il l’affirmait, il en était sûr.

Pendant qu’on disposait ainsi de l’avenir, on s’occupait peu du présent. : Farnèse et sa petite armée étaient sans ressources ; Philippe II ne lui envoyait pas plus d’argent qu’Elisabeth d’Angleterre n’en envoyait à Leicester en Hollande. Il était contraint, pour gagner du temps, à s’amuser à de feintes négociations : il travaillait à endormir la reine d’Angleterre et demandait qu’on ne laissât pas les Français un moment inoccupés, et distraits de leurs guerres civiles. Les Flandres étaient ruinées, les troupes avaient tout dévoré ; Philippe se décida à envoyer 600,000 ducats par la voie de Gênes : un tiers de cette somme resta en France pour solder le duc de Guise. « Il faut, écrivait Philippe, tenir les Français dans la confusion et nourrir leurs guerres ; nous ne pouvons permettre qu’ils en viennent à une paix générale. » Elisabeth se sentait menacée d’un grand péril ; elle renouait de temps en temps le fil de la négociation avec Farnèse, sans trop croire à la paix. « Les Espagnols, écrivait-elle à Parme, comme le chasseur qui distribuait libéralement à ses amis le corps et les membres du loup, avant qu’il fût tué, ont partagé ce royaume et celui d’Irlande avant d’en faire la conquête. Mais mon cœur royal n’est point intimidé par de telles menaces. » La paix, en effet, était impossible : rien ne pouvait plus distraire le roi d’Espagne de son projet : le prince de Parme, sans cesse harcelé, envoyait un plan détaillé d’invasion. Trois points, disait-il, étaient essentiels : le secret, la continuation de la guerre civile en France, un traitement judicieux des Flandres. Les Français pouvaient, en s’unissant, rendre tout impossible. Il fallait de bonnes garnisons dans les Flandres ; le prince de Parme emmènerait avec lui tous les grands personnages belges pour les empêcher de remuer dans les provinces. Le secret était essentiel : car la reine d’Angleterre, avertie,