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Sainte-Aldegonde ; il avait accepté ces fonctions par dévoûlent, sans ignorer qu’il aurait à lutter contre une oligarchie municipale jalouse et turbulente. Philippe de Marnix de Sainte-Aldegonde avait été élevé à Genève sous les yeux de Calvin, il avait épousé avec passion les principes de la réforme : théologien, poète, jurisconsulte, pamphlétaire, soldat, il était au premier rang parmi les ennemis de l’Espagne ; il avait été un moment séduit par les grâces du duc d’Anjou, puis il s’était donné cœur et âme à Guillaume le Taciturne.

À quelque distance de la ville, en aval, les états avaient deux forts sur les deux rives de la Scheldt. Il était essentiel pour Farnèse de s’en emparer, pour construire le pont qu’il méditait de jeter sur la rivière afin d’isoler la ville de la mer. L’un de ces forts, Liefkenshoek, fut surpris par les Wallons du marquis de Richebourg et emporté sans résistance. Le jour même où eut lieu la prise de ce fort, le 10 juillet 1584, Guillaume le Taciturne était assassiné à Delft. Lillo, le second fort, avait une garnison composée d’Anversois, commandée par Téligny, le fils de La Noue, « Bras de Fer, » de quelques Français et Écossais, en tout de 1,000 hommes. Farnèse donna 5,000 hommes à Mondragon pour s’en emparer à tout prix, Le siège dura trois semaines, et Mondragon perdit 2,000 soldats dans les tranchées ; après une brillante sortie de Téligny, il dut renoncer à vaincre la résistance de Lillo.

Farnèse s’était établi sur la rive gaucho de la Scheldt ; il avait mis le comte Pierre Mansfeld sur la rive droite et il résolut de jeter un pont fortifié sur la rivière à Kalloo. Des batteries furent élevées sur les deux rives, mais il ne se passait pas de jour que de hardis bateaux n’allassent porter du blé et des vivres à Anvers. On n’avait malheureusement pas suivi les conseils d’Orange à temps ; les grandes digues émergeaient au-dessus de la plaine inondée et l’espace laissé à une navigation chaque jour plus périlleuse était ainsi beaucoup trop étroit. Quand l’ordre fut donné de percer le Blaw-Garen et le Kowenstyn, il était trop tard. Farnèse s’empara de cette dernière digue et s’y établit fortement. Le pont avançait lentement, à travers le pays inondé, avec ses pilotis, ses palissades, ses canons, ses arquebusiers ; protégé par les batteries de la côte, il arrivait déjà à la Scheldt ; de distance en distance, il portait des redoutes, et déjà 5,000 Espagnols étaient établis sur la longue forteresse de bois.

Anvers ne voulait pas croire à ce pont et disait que Farnèse était fou, qu’on ne fermerait jamais entièrement la Scheldt, que les eaux, les glaces de l’hiver, les flottes de la Zélande viendraient à bout de cette vaine barrière. L’inondation, faite trop tard, était mise à profit par le duc de Parme et lui servit à mieux investir le fort