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avec de la barbe au menton et aux lèvres, gauche et brusque. Marguerite, de son côté, méprisait son époux ; pourtant, après que Farnèse eut suivi Charles-Quint pendant la guerre d’Alger, elle le reçut avec quelque joie à son retour ; et ce feu d’un moment donna le jour à deux frères jumeaux, dont l’un seulement devait vivre, qui fut Alexandre Farnèse. Marguerite avait pour confesseur Ignace de Loyola, elle était fort livrée à la dévotion et aux œuvres de piété, et son esprit était d’un ordre si sérieux que Charles-Quint lui offrit le gouvernement de la Belgique, qu’elle conserva depuis 1559 jusqu’à 1568 On connaît l’histoire de ces années troublées ; la régente tenta ou vain de faire triompher la politique, qui, plus tard, devait si bien réussir à son pays ; elle voulut s’appuyer sur la haute noblesse, sur le prince d’Orange, sur Egmont, sur de Horn ; elle remit, avec leur concours, toutes les villes dans l’obéissance. Elle protesta en vain contre l’envoi du duc d’Albe : « A présent, écrivait-elle à Philippe II, que l’autorité est plus assurée que du temps de l’empereur, le roi veut en donner l’honneur à d’autres ; moi j’ai eu seule les fatigues et les dangers ; » et, en effet, elle ne s’était pas épargnée, elle se levait, de grand matin, tenait deux conseils par jour et remplissait sa journée d’audiences. Quand l’envoi du duc d’Albe fut décidé, elle osa écrire à son frère : « pour le bien de ce pays, pour la réputation et les intérêts du roi, nos choix ne pouvaient être plus funestes. Cet homme est tellement détesté par la population qu’il suffirait seul à faire haïr toute la nation espagnole. » Elle se souvenait de qui elle était fille ; le duc d’Albe arrivé, elle donna sa démission et obtint l’autorisation de se retirer à Parme. Violente, prompte à changer ses amitiés en haines, la régente n’était pas exempte de fourberie ; aussi cruelle par momens que Philippe II lui-même, elle dut pourtant à la férocité du duc d’Albe une sorte de popularité qui dura longtemps dans les Flandres. Fille naturelle, elle avait un respect instinctif pour Orange et pour la grandie noblesse belge ; et ce respect lui avait plus d’une fois tenu lieu de modération et de sagesse.

Pendant que la régente était à Bruxelles, son jeune fils était à Madrid, où Philippe II le faisait élever avec don Carlos, son fils et don Juan d’Autriche. Le jeune prince avait, à l’âge de douze ans, suivi Philippe II dans sa campagne de France ; il avait, disait les historiens, pleuré de dépit de ce que le roi ne lui avait point permis de monter à l’assaut de Saint-Quentin. Quand il atteignit sa vingt et unième année, le roi le maria à Marie de Portugal, fille du prince Edouard et d’Isabelle de Bragance, et petite-fille d’Emmanuel, roi de Portugal. Farnèse n’avait nulle envie d’épouser cette princesse, qui parlait grec et latin, qui s’entendait aux