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nullement à la dévotion du pouvoir. Cela déplut au prince, mieux préparé à commander un régiment qu’à se plier au rôle difficile et délicat d’un souverain constitutionnel. On lui persuada qu’il était impossible de gouverner avec les institutions aussi républicaines L’Autriche, prétend-on, lui conseilla un coup d’état et la suspension de la constitution. Quand je me trouvai à Sophia, cet essai de gouvernement personnel continuait. Les élections s’étaient faites manu militari. Les chefs du parti libéral modéré étaient exilés et le principal d’entre eux, Zankof, interné. Les généraux russes Kaulbars et Sobolef étaient les maîtres. Quoique non naturalisés ils entraient à la chambre, qu’ils faisaient marcher haut la main. Trois partis s’étaient formés : les conservateurs, les libéraux et les radicaux. Les conservateurs soutinrent d’abord le prince et le régime despotique ; mais bientôt ils se lassèrent d’être menés comme des conscrits, par les généraux étrangers, dont l’administration autoritaire et peu capable provoquait un mécontentement universel. Ils tendirent la main aux libéraux : l’entente s’établit entre les chefs des deux partis, Zankof et Natchovitch, et, d’un commun accord, ils demandèrent au prince le retour à la constitution de Tirnovo. Alexandre céda et un ministère libéral se forma renfermant des hommes de grand mérite : Zankof, Balabanof, Sarafof, Pomianof. Tout récemment, il a dû se retirer pour faire place à un ministère radical, sous la présidence de M. Karavelof. Cet homme d’état a fait preuve d’une grande habileté, car il semble inspirer toute confiance au prince, en même temps qu’au peuple. Si l’on veut connaître l’histoire parlementaire de la Bulgarie depuis la proclamation de la constitution de Tirnovo, il faut lire l’ouvrage d’un écrivain bulgare, M. Drandar, intitulé le Prince Alexandre de Battenberg ; cinq ans de règne. Ce livre est à la fois amusant et instructif. Il ’prouve que, comme on l’a vu en Belgique, un souverain ne peut se maintenir sous un régime démocratique qu’en s’inspirant toujours de la volonté de la nation, mais à ce prix il acquerra popularité et autorité.

Il est très probable que le régime constitutionnel démocratique établi en Bulgarie finira par y fonctionner régulièrement, mais à deux conditions : premièrement que le prince renonce définitivement au gouvernement personnel et qu’il accepte les ministres que lui indique la majorité ; en second lieu, qu’on respecte l’antique autonomie communale et qu’une centralisation excessive n’impose pas une trop difficile besogne au parlement. Quand le roi Léopold arriva en Belgique, il crut également que la constitution de 1830 donnait si peu d’autorité au pouvoir exécutif qu’il lui serait impossible de gouverner. Son ami Stockmar fut conseilla d’essayer et