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d’aristocratie, aucune hostilité de classe. Presque partout les cultivateurs possèdent la terre qu’ils font valoir et qui suffit à leurs besoins. Le bail à ferme est inconnu. Dans quelques districts le métayage existe, mais il est devenu rare aujourd’hui, parce que les begs turcs, ayant émigré en grand nombre, ont vendu leurs terres à vil prix aux paysans. Au sud-ouest du pays, du côté du Rhodope, le régime féodal turc avait survécu. Le territoire des villages appartenait aux begs. Les paysans leur donnaient pour les fêtes du Baïram une certaine quantité de blé, de beurre, de fromage et de bois, et en outre ils étaient tenus à exécuter des travaux de culture sur les terres des tchifliks (fermes). A la mort du père de famille, le beg avait le droit de réclamer certaines prestations en nature, à titre d’impôt de succession, ce qui équivalait au droit du meilleur chastel, général en Occident au moyen âge. Cet état de choses ne date, m’affirme-t-on, quedu commencement de ce siècle. Les begs musulmans des districts de Vrania et de Kustendil, qui étaient allés combattre les Serbes et Karageorge, exaspérés d’être repoussés, s’en prirent aux rayas et leur enlevèrent la propriété du sol, en les y laissant à l’état de tenanciers corvéables.

Les Bulgares ont au plus haut degré la qualité qui assure la prospérité des nations : ils sont d’admirables travailleurs, infatigables, intelligens, écoles. Ils sont bons agriculteurs, bons charpentiers, bons maçons. Comme je l’ai déjà dit, ce sont eux qui, dans toute la péninsule et même le long du Danube, depuis Semlin jusqu’à Bucharest et Braïla, cultivent les légumes, aux environs des villes. Trente mille d’entre eux vont, chaque année, aider à faire la récolte en Serbie et en Roumanie, et on les y rencontre aussi en grand nombre, maçonnant et préparant charpente et menuiserie. Dans les plaines, partout où passaient les soldats turcs, la culture est encore primitive. Avec une charrue informe, attelée de quatre ou six bœufs, la terre est déchirée plutôt que labourée ; elle donne une récolte de blé, puis une ou deux de maïs, et après elle reste en jachère, à l’état vague, parcourue par le bétail. C’est cette mauvaise agriculture entrevue par M. de Blowitz, voyageant en train-éclair, entre Routchouk et Varna, qui lui a fait émettre un jugement si sévère sur tout ce qui se fait en Bulgarie. Il ignorait probablement que c’est dans cette partie du pays que domine l’élément musulman, pour lequel il réserve toutes ses sympathies. S’il avait, comme M. Kanitz, parcouru la région des collines et surtout les vallées aux abords des Balkans, loin des grandes routes, il aurait trouvé des bourgs prospères, de charmans villages cachés parmi des arbres fruitiers, des champs bien exploités, des vignes, des mûriers, des cultures industrielles, tabac, lin, chanvre.