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commercial important ; par la route de Lescovatz, il attire les produits de la Macédoine, laine, cuirs, peaux, et reçoit, en échange, des étoiles et des quincailleries d’Angleterre importées par Salonique. A Nisch, le chemin de fer où nous voyons déjà rouler la locomotive, se bifurquera : il ira rejoindre d’un côté, par Pirot et Sophia, la ligne déjà construite de Sarambey-Constantinople, de l’autre par Vrania, celle de Mitrovitza-Salonique, soit à Varosch, soit à Uskub.

Le médecin du département vient souper avec nous. Il me donne des détails sur l’application du fameux règlement sanitaire que j’ai analysé précédemment, et sur la façon de vivre des habitans. « Le Serbe, me dit-il, se soumet volontiers aux prescriptions de la loi quand il croît qu’elles ont son intérêt en vue. Ainsi la vaccination générale et obligatoire ne rencontre pas de résistance. Elle se fait gratuitement ; mais les médecins des districts et des communes touchent sur le fonds sanitaire 0 fr. 40 par vacciné, ce qui les engage à tenir la main à l’exécution du règlement. Notre population est très saine et très robuste. Quoique le maïs soit sa principale nourriture, la pellagre italienne est inconnue ici, parce que nos paysans mangent tous du porc, du mouton et du se ! à suffisance ; chose excellente, le sel est très peu imposé. Nous consommons déjà par tête, environ 10 kilogrammes de sel, 2 kilogrammes de sucre et 1/2 kilogramme de café ; n’est-ce pas la preuve d’une certaine aisance ? Ce qui affaiblit nos cultivateurs, ce sont les jeûnes et les jours « maigres, » qui prennent presque un jour sur deux. Ils y tiennent plus qu’à la fréquentation de l’église, même le dimanche. »

Quoique les routes soient complètement sûres, quand je quitte Nisch pour me rendre à Pirot, le préfet et le médecin départemental nous accompagnent dans leur voiture, jusqu’à la prochaine étape, et deux gendarmes à cheval nous précèdent ; c’est encore une amabilité de M. Pirotchanatz. A peu de distance de la ville, on me fait mettre pied à terre, et on me conduit vers un monument très étrange qui semble la ruine d’une tour romaine. Elle est faite en un béton singulier ; on dirait de grosses pierres rondes et blanches engagées dans du ciment. Je m’approche, et je vois que ces pierres sont des crânes humains. On me rappelle cet héroïque épisode de la guerre de l’indépendance. En 1809, les Serbes attaquent les Turcs non loin d’ici, au village de Kamenitza, et sont vaincus. Leur chef Singgetitch se retranche dans un fort sur le Vojnk, et au moment où l’ennemi emporte les retranchemens, il se fait sauter. La bande héroïque et les assaillans sont ensevelis sous les ruines. Le pacha vainqueur, pour dompter les populations par la terreur, fait construire la tour des crânes, la Kele-Kalessi. Les alentours font contraste avec cet