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se préparent, qui ne sont qu’une des phases de la révolution des choses, et si les anciens partis se couvrent encore quelquefois de leurs vieux noms, s’ils gardent quelques-unes de leurs traditions, ils ne sont plus déjà ce qu’ils étaient. Les conditions de la lutte ne sont plus les mêmes entre les libéraux, qui reviennent au combat après avoir perdu le pouvoir il y a quelques mois, et les conservateurs, qui sont aujourd’hui au gouvernement, qui ont à conquérir une majorité. À qui restera le succès au prochain scrutin ?

Assurément, les libéraux ont des chances sérieuses ; ils ont surtout l’avantage de marcher sous un chef populaire, d’avoir le nom de M. Gladstone inscrit sur leur drapeau. Ce n’est pas que M. Gladstone, avec son grand âge, puisse retrouver ses anciennes forces pour de nouvelles campagnes, et que le récent manifeste du vieux chef libéral soit une de ces œuvres qui passionnent l’opinion. Le manifeste, daté de Hawarden, n’est sur certains points qu’une défense assez pâle de la politique extérieure du précédent cabinet et sur d’autres points qu’un programme de politique intérieure assez vague ; mais M. Gladstone est le plus populaire des Anglais vivans aujourd’hui. Il a devant le pays l’ascendant de son éloquence, de ses services, de ses talens. Son nom est la force de son parti, et il serait capable de gagner des batailles, même quand il ne pourrait pas recommencer ses tournées d’autrefois dans le Midlothian. Toute la question est de savoir si l’influence de M. Gladstone peut suffire aujourd’hui pour maintenir une certaine cohésion dans son parti, pour atténuer ou pallier les divisions entre les radicaux et les vieux whigs qui se sont trouvés un moment réunis dans le dernier cabinet. Il est bien clair en effet que radicaux et whigs ont quelque peine à marcher du même pas. M. Chamberlain va en avant avec son programme de radicalisme semi-socialiste, réclamant la gratuité de l’enseignement primaire, la réforme démocratique des impôts, le droit pour les communes d’employer le produit des taxes locales à l’achat de terres destinées à être distribuées aux paysans. D’un autre côté, des hommes comme M. Goschen, lord Hartington, ne vont certainement pas aussi loin ; ils résistent au courant radical où le vieux libéralisme anglais risque de se perdre. M. Goschen s’efforçait récemment de mettre les électeurs en garde contre la panacée décevante du socialisme d’état, contre ceux qui passent leur temps à susciter des espérances irréalisables, à faire briller des a feux follets » aux yeux du peuple. Lord Hartington reste, dans ses discours, un whig de tradition, et il parlait l’autre jour de l’accent d’un homme désabusé tout prêt à quitter au premier signe la chambre des communes, à aller attendre sans impatience dans la retraite l’héritage de la pairie qu’il est destiné à recevoir de son père le duc de Devonshire. Qui l’emportera des radicaux ou des whigs modérés ? Ces divisions, que l’autorité de M. Gladstone peut contenir un moment,