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par un mouvement assez général, décidé, spontané, le suffrage universel allait envoyer au nouveau parlement près de deux cents conservateurs et peut-être un plus grand nombre après le prochain scrutin du 18. C’est là cependant le phénomène curieux des élections françaises ; c’est le résultat qui a un moment confondu tous les calculs, qui a éclaté comme une révélation de l’intensité du sentiment public, comme une victoire inespérée pour les conservateurs vaincus de la veille, comme un avertissement sévère pour les républicains troublés tout d’un coup dans leur rêve de domination infatuée.

On aurait beau ruser avec des chiffres, dénaturer la réalité des choses ou essayer de s’abuser, de se dédommager par des jactances, par des subtilités d’interprétation, par les illusions obstinées de l’esprit de parti dissimulant ses mécomptes et ses blessures : les faits sont là, parlans et éloquens, les faits passent avant tout. Ce qu’il y a justement de frappant dans ces élections du 4 octobre, ce qui leur donne le caractère d’une manifestation d’opinion des plus sérieuses, c’est que le mouvement qui s’est produit avec une vivacité presque imprévue n’a rien de partiel, ou de local, ou d’accidentel. Il tient sûrement à des causes profondes, multiples, communes à toutes les zones de la France. On ne peut pas cette fois prétendre d’un ton superbe que c’est la dernière résistance de quelques départemens arriérés, rebelles au progrès, infestés de cléricalisme et de mœurs réactionnaires. Le mouvement est né partout à la fois. Il est dans le Nord, dans le Pas-de-Calais, dans la Somme, comme au Midi dans les Landes, dans les Pyrénées, dans le Gers, dans le Tarn-et-Garonne, dans la Haute-Garonne ; il est dans les régions de l’Est, dans l’Ardèche, dans la Lozère aussi bien qu’à l’Ouest, dans les Côtes-du-Nord, dans le Finistère, dans la Mayenne et sur les côtes de la Manche, dans le Calvados, — au centre, dans l’Indre, dans la Vienne comme aux extrémités du pays. L’universalité exclut toute idée d’un vote de surprise : c’est là ce qu’il y a de caractéristique.

Et qu’on ne dise pas que cela s’explique après tout, que les succès des candidats de l’opposition conservatrice ont pu tenir aux divisions des républicains, à la multiplicité des listes républicaines. C’est une explication qui n’explique rien, qui est tout au plus une manière de pallier une vérité importune. Les départemens où les conservateurs ont eu les succès les plus éclatans, les plus décisifs, sont précisément ceux où il n’y avait qu’une liste républicaine, où les forces des partis étaient concentrées, où la lutte était parfaitement nette et tranchée. Dans le Nord, il n’y avait qu’une liste républicaine, et les conservateurs ont une majorité de plus de quarante mille voix. Tout auprès, dans le Pas-de-Calais, il n’y avait qu’une liste, et entre le dernier conservateur élu et le premier candidat républicain, qui est M. Ribot, il y a une différence de plus de vingt mille voix. Dans la Manche, dans