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foyer intérieur est mort, pareille à la lumière attardée des étoiles éteintes. Il avait modulé sur ce thème des strophes d’une élégante simplicité, d’une langue pure et d’une forme souple. Et soudain le voici au théâtre! Que vient-il faire, le pauvret, dans cette galère? J’imagine que, la veille de la première représentation, il a été bien près de prendre peur, et que volontiers il se serait excusé, comme fait son héroïne travestie :


J’ai les goûts... d’une fille, et pour talens suprêmes,
Je sais un peu chanter et dire des poèmes !


Mais, au nom du public, M. Porel lui aurait répondu, dans doute, comme fait son héros :


Des vers et des chansons!.. Mais cela, c’est sans prix,
Et tu sais tout, alors, n’eusses-tu rien appris...
Des vers et des chansons! Par avance je t’aime...


Et ce public, en effet, à qui la dramaturgie de M. d’Ennery, lorsqu’on remonte une Cause célèbre, arrache des larmes, et qui s’amuse encore un peu, lorsqu’on reprend le Procès Veauradieux et lorsqu’on joue Cherchez la femme, des combinaisons de MM. Hennequin et Delacour ou de Najac et Hennequin, ce public, habitué à tant de science et de rouerie, devait faire grâce à l’innocent qui venait le rafraîchir et le charmer par sa cantilène naturelle.


Malheureux qui n’a pas de musique en lui-même!


soupire, par la bouche de son personnage favori, l’ingénu poète; il en a, il nous en fait part :


La musique commence, écoutons la musique!


Cependant, pour chanter à sa guise dans ce lieu où, d’ordinaire, on n’exécute que des morceaux composés selon les règles, M. Dorchain a pensé modestement qu’il était sage de se choisir un puissant patron. « Ce n’est pas moi, pourrait-il murmurer, mais un plus grand que moi, dont l’esprit souffle par ma bouche; ma fantaisie n’est que de redire à ma façon ce qu’a jadis inventé la sienne : pardonnez à ma fantaisie ! » Pour obtenir à son filleul la licence nécessaire, nul parrain n’avait plus d’autorité que Shakspeare : c’est à lui que le débutant s’est adressé. Il a entrepris de nous répéter librement la Douzième Nuit ou Ce que vous voudrez, autrement dit le Soir des rois; à cette nouvelle édition de la légende, il a donné le quatrième titre qu’on sait, assurément plus clair que les trois autres et qui lui convient à merveille. Parce qu’elle tient