Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 71.djvu/936

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

On y a réuni des monnaies, des armes, des antiquités, des manuscrits et des portraits très intéressans pour l’histoire nationale. C’est aussi le siège de l’académie royale des sciences. L’université n’a que trois facultés : celle de philosophie et lettres ; celle des sciences, comprenant les arts et métiers, et celle de droit, vingt-huit professeurs et environ deux cents élèves. Pour étudier la médecine, il faut se rendre à l’étranger.

Le code civil, rédigé sous Miloch, est une imitation du code autrichien; cependant il y a quelques différences curieuses à noter, entre autres celle-ci : comme dans toutes les législations primitives, les filles n’héritent pas, s’il y a des fils ou des enfans mâles issus d’eux. Elles n’ont droit qu’à une dot, afin que les biens ne passent pas dans une famille étrangère.

Les corps de métiers existent encore, mais sans privilèges exclusifs. Chacun a sa caisse, comme les trades-unions en Angleterre ; elle est formée au moyen de versemens hebdomadaires des membres. Elle a pour but de venir en aide aux compagnons malades ou momentanément privés de travail. Belgrade a 30 corps de métiers, Tchoupria 39, Pojarevatz 28, Nisch 27, Pirot 21. L’esprit d’association est développé parmi les artisans. J’ai remarqué, en face des bureaux du Videlo, une zadruga de tailleurs, c’est-à-dire une société coopérative. L’antique zadruga rurale, la communauté de famille, est, en effet, une association de production agricole.

— J’aime à errer dans le grand cimetière. Il est situé à l’extrémité sud de la ville, sur une colline d’un côté, coupée à pic par une carrière. L’on y a une vue admirable sur le Danube et sur l’immense plaine de la Hongrie. Le vendredi, les parens des défunts viennent visiter leurs tombes et y apportent des offrandes, comme dans l’antiquité. Voici, sur le tertre où est plantée une simple croix en bois noir, une petite bougie, un plat de cerises, un petit pain, une bouteille de vin et des fleurs. Une femme y est accroupie, elle pousse des gémissemens accompagnés d’invocations à l’âme de son mari semblables à des mélopées : « O ami, pourquoi nous as-tu quittés? Nous t’aimions tant!. Chaque jour, nous te pleurons! Rien ne pourra nous consoler. » Sur d’autres tombes se font entendre des lamentations encore plus douloureuses. On dirait un chœur de pleureuses romaines. L’effet est poignant. Le rite oriental s’est beaucoup moins modifié que les cultes occidentaux. Les coutumes du paganisme grec et latin, qui ont transformé le christianisme primitif, purement sémitique, sont restées ici intactes et vivantes. Ce poétique cimetière n’est pas à 200 mètres des habitations, comme le prescrit le règlement sanitaire: sera-t-il aussi fermé?

— Je dîne chez M. Sidney-Locock, ministre d’Angleterre, qui s’est