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Les conservateurs ont pour chef M. Ristitch, l’homme politique le plus considérable du pays. Il a fait partie du conseil de régence après la mort du prince Michel et pendant la minorité du prince Milan. C’est lui qui a dirigé la politique étrangère, pendant la période si difficile, si périlleuse de la guerre turco-russe et aussi au congrès de Berlin, d’où il a eu l’honneur de rapporter pour la Serbie les deux importantes provinces de Nisch et de Pirot. Il a dû quitter le pouvoir, parce qu’il n’a pas voulu céder aux exigences de l’Autriche, lors des négociations pour le traité de commerce. Quand le cabinet de Vienne a menacé de fermer ses frontières aux exportations de la Serbie et que les canonnières autrichiennes sont venues s’embosser à Semlin, la Serbie n’a pas osé résister et M. Ristitch s’est retiré. On le prétend inféodé à la Russie. Il s’en défend énergiquement. « Ce que je veux pour mon pays, me dit-il, c’est ce bien précieux que nous avons conquis au prix de notre sang, l’indépendance. Nous devons conserver de bonnes relations avec l’Autriche, mais nous ne pouvons pas oublier ce que la Russie a fait pour nous. C’est à elle que nous devons d’exister. C’est elle qui, à la paix de Bucarest, en 1812, puis en 1815, en 1821 et en 1830 est intervenu pour nous, et a obtenu notre affranchissement. Inutile de rappeler ses sacrifices en notre faveur durant la dernière guerre. C’est d’elle encore que nous pouvons attendre la délivrance des populations slaves affranchies par le traité de San-Stefano, mais remises sous le joug turc par le traité de Berlin. Amis de tous, serviteurs de personne, voilà quelle doit être notre devise. » A l’intérieur, M. Ristitch est hostile aux innovations trop hâtives et partisan d’un gouvernement fort. Il est encore dans la force de l’âge. L’œil, ferme et même dur, indique une volonté arrêtée. Il expose ses idées avec une grande netteté, et, quand il s’anime, avec une véritable éloquence. Il occupe une vaste maison richement meublée, sur le boulevard Michel, non loin du Konak.

Le parti progressiste correspond aux libéraux de l’Occident. Il n’a guère de respect pour les institutions anciennes, qu’il considère comme un reste de barbarie, et il ne se pique point d’une grande déférence envers l’église nationale, ainsi que l’a prouvé la façon dont il a mené et terminé le différend avec le métropolite Michel. Il veut doter son pays le plus tôt possible de tout ce qui constitue ce qu’on appelle la civilisation occidentale : grande industrie, chemins de fer, affaires financières, banques et crédit, instruction à tous les degrés, beaux d monumens, villes bien pavées, éclairées au gaz, bourgeoisie aisée menant grand train, développement de la richesse, et pour hâter la réalisation de ce programme, l’accroissement des pouvoirs et des revenus du gouvernement et la centralisation. Le