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ceux qui le produisent : voyez l’Italie, la Russie et l’Egypte. Elle est surtout une cause de souffrances dans les contrées éloignées des marchés de l’Occident, où les denrées sont à bon marché et l’argent rare. Dans une province écartée, au centre de la péninsule des Balkans, une famille vit à l’aise ; mais forcez-la de verser 20 ou 30 francs en or aux banquiers de Vienne ou de Paris, pour sa part dans l’intérêt de la dette, que de produits elle devra vendre et soustraire à la satisfaction de ses besoins, dans une région où les routes manquent pour l’exportation et où il n’y a pas d’acheteurs sur place, parce que chacun produit à suffisance tout ce qu’il lui faut! La facilité d’emprunter est un entraînement irrésistible pour ceux qui gouvernent. Ils ont immédiatement en mains des moyens d’action énormes ; l’avenir pourvoira aux intérêts et au remboursement ! Les banquiers sont toujours prêts à avancer l’argent. Ils touchent la prime et rejettent le risque sur les souscripteurs. Le déficit se creuse ; on emprunte encore pour le combler ; les populations sont accablées de charges croissantes, jusqu’à ce que vienne la faillite. C’est l’histoire habituelle des emprunts orientaux. Pour les pays primitifs, le crédit est une peste. La dette de la Serbie ne s’élève encore qu’à 130 millions, dont 100 ont été consacrés à faire le chemin de fer Belgrade-Nisch et à remplacer les millions emportés par la faillite Bontoux. Mais les emprunts n’ont commencé à se succéder qu’à partir de 1875, et, déjà ils prennent plus de 7 millions par an sur un revenu de 34. On entre dans cette voie funeste qui a mené la Turquie à sa perte. Pour obtenir 5 millions destinés à compléter l’achat de 100,000 nouveaux fusils Mauser, on a cédé à l’Anglo-Austrian Bank le monopole du sel pour quinze ans. Je sais parfaitement que jusqu’à présent la Serbie peut très facilement payer l’intérêt de sa dette, d’autant plus que le nouveau chemin de fer, surtout quand il sera relié à Salonique, d’un côté, et à Constantinople, de l’autre, favorisera notablement le développement de la richesse; mais, néanmoins, je ne puis cacher mon impression aux ministres serbes qui m’ont fait un si bienveillant accueil. Arméniens coûteux, emprunts répétés, mise en gage des sources du revenu, ce sont là des symptômes inquiétans auxquels il faut veiller. Principiis obsta est une admirable devise trop peu comprise.

En voyage, je tâche toujours, quand j’en ai le temps, de visiter les bureaux des principaux journaux ; c’est encore le meilleur centre d’informations. On y trouve des gens d’esprit capables d’exposer la situation d’une façon plus « objective, » plus impartiale que les « politiciens. » Je rencontre plusieurs fois M. Komartchitch, rédacteur en chef du journal progressiste et gouvernemental le Vidélo. Il y a trois partis en Serbie : les conservateurs, les progressistes et les radicaux.