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des campagnes, qui forment les neuf dixièmes de la population, les vêtemens, les meubles, les ustensiles, les instrumens aratoires, est confectionné sur place par les industries domestiques. Est-il si urgent de tuer celles-ci, par une concurrence subventionnée, qui remplacera les bonnes et fortes étoffes de laine et les solides chemises de fin brodées, appropriées au climat et si pittoresques, par des cotonnades à bas prix, à l’imitation de celles de l’Autriche et de l’Allemagne? Tout manque donc ici jusqu’à présent pour favoriser le développement de l’industrie manufacturière: les marchés urbains, les consommateurs et le personnel ouvrier. Elle se heurterait d’ailleurs à un autre obstacle résultant, non des conditions naturelles, mais des combinaisons spéciales du tarif douanier ; car l’Autriche s’est fait accorder des avantages exceptionnels par le récent traité de commerce de 1881.

Pour faciliter les échanges des populations habitant des deux côtés de la frontière dans une certaine zone, l’Autriche a adopté, de commun accord et sous condition de réciprocité avec quelques états limitrophes, notamment avec l’Italie et la Roumanie, un tarif appelé Grenz-Tarif, qui réduit les droits d’entrée à la moitié de ce que paie la nation la plus favorisée. Les marchandises autrichiennes partent à destination de la zone spécifiée ; mais, une fois entrées en Serbie, elles se répandent dans le pays tout entier. Les droits de douane, déjà peu élevés en général, se trouvent ainsi tellement réduits que les fabriques serbes qui veulent s’établir sont rendues impossibles ou sont bientôt tuées par la concurrence. C’est ce qui a frappé de stérilité la plupart des monopoles accordés en vertu de la loi de 1873. Les patriotes serbes s’indignent de ce qu’ils appellent un asservissement commercial à l’Autriche. Les autres nations ont le droit de se plaindre de cette prime exorbitante accordée à un état déjà si favorisé par sa proximité; car, sur le total du commerce extérieur de la Serbie, s’élevant en 1879 pour les importations et les exportations à 86 millions de francs, les échanges avec l’Autriche montaient à 65 millions. Mais, quant à moi, j’y vois un avantage pour les Serbes : elle les préserve d’être internés dans des ateliers insalubres et exploités par des manufacturiers privilégiés.

Je me suis permis de dire aussi au ministre des finances qu’un autre danger me semblait menacer la Serbie, celui de la dette publique, grossissant partout et toujours, grevant toutes les familles, ruinant surtout les campagnes et faisant plus de mal que les trois fléaux dont la litanie demande que le Seigneur nous délivre : la peste, la guerre et la famine. Point d’agent de paupérisation plus malfaisant. Les désastres de la guerre se réparent vite, on l’a bien vu en France après 1870 ; mais la dette arrache le pain de la bouche de