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comme le disait le message princier à la Skoupchtina, elle est redevenue indépendante telle que l’avait constituée saint Sabbas. La nomination de Mgr Mraovitch s’est faite à la suite d’un grand événement politique, car il a éloigné la Serbie de la Russie, pour le rapprocher plus intimement de l’Autriche. Un impôt ayant été établi sur la fortune présumée, on a voulu l’appliquer aussi au clergé. Celui qui se fait moine doit payer 100 francs, puis 150 francs s’il est élevé au rang de jeromonach, 300 francs s’il devient igumène. Le précédent métropolite Michel a protesté, et a refusé le paiement de l’impôt, parce qu’il portait atteinte au droit de l’église. « Comment, disait-il dans une lettre adressée au ministre des finances, l’état peut-il mettre une taxe sur des vœux et des dignités monastiques qu’il fait profession d’ignorer? Ce serait à l’église à exiger cet impôt au profit de l’état; mais alors l’église vendrait les fonctions religieuses, ce qui est un péché et une violation des constitutions ecclésiastiques ; ce serait de la simonie. » On affirmait qu’il était l’agent de la Russie et qu’il faisait de la propagande pour les cercles moscovites de Moscou. Le gouvernement répondit que personne n’a le droit de désobéir aux lois, pas plus le clergé et son chef que les autres citoyens, et il déposa le métropolite, en désignant son successeur. N’a-t-il pas outrepassé ses pouvoirs? D’après la loi canonique, le métropolite est nommé par le synode, que convoque à cette fin l’évêque le plus ancien ; mais la nomination doit être approuvée par le prince. Ceci implique-t-il pour l’état le droit de révocation? Adhuc sub judice lis est. Les amis de l’ancien archevêque et le parti russe avaient compté que tout le clergé aurait violemment pris fait et cause pour lui : il n’en a rien été. Les popes orthodoxes n’ont pas l’ardeur belliqueuse des prêtres catholiques. Ce n’est pas eux qui auraient amené M. de Bismarck à Canossa. Soit indifférence, soit crainte du bras séculier, ils se sont tus ; mais en Russie, l’opinion et même le gouvernement ont été vivement froissés par cet incident, qu’on attribuait à tort, me dit-on, aux inspirations de l’Autriche. Quand je me trouvai à Belgrade, l’affaire semblait terminée.

Le nouveau métropolite, Mgr Mraovitch, est un petit vieillard, dont les longs cheveux blancs retombent sur les épaules et dont les yeux gris ne manquent pas de finesse. Je me permis de lui demander si ses ouailles étaient partout aussi peu assidues à l’église qu’à Belgrade. « A la campagne, me dit-il, vous auriez trouvé plus de monde à la messe. Cependant les campagnards ne se piquent pas d’y aller régulièrement. Je le regrette, mais ils sont néanmoins bons chrétiens et surtout très attachés à leur religion, qui est intimement liée à toutes les fêtes de famille et qui, à leurs yeux, se confond avec le sentiment national. Pendant des siècles nous avons été foulés par