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paiement du prix normal de la terre une diminution d’état, peu coûteuse, il paraît, pour le paysan européen affolé de la passion de posséder sous le soleil une pièce de terre qui soit bien à lui.

Personne ne peut dire ce qu’aurait produit dans la république argentine ce système s’il eût été essayé, mais il ne pouvait pas l’être. Avant l’année 1880, en effet, le gouvernement fédéral n’avait pas eu à se préoccuper de l’emploi des terres publiques, il manquait de hardiesse pour vendre la peau de l’ours avant de l’avoir prise, et cette vaste peau d’ours servait alors de lit paisible aux tribus indiennes. Seules, les provinces confédérées possédaient paisiblement des domaines, et bien que la constitution nationale leur eût réservé le droit de fomenter l’immigration sur leurs terres, elles n’en avaient souci. Ces terres avaient une autre destination. Dans un pays où les capitaux mobiliers ne sont pas constitués, où les budgets sont minces, c’est toujours par des donations, plus ou moins déguisées, des terres publiques que les gouvernemens provinciaux ont récompensé les services de leurs partisans ou réparé les injustices du sort dont eux ou leurs amis étaient victimes. Puiser ‘dans le trésor eût été une duperie ; les gouvernans antérieurs n’y ayant jamais rien laissé pour leurs successeurs et les ressources en étant toujours épuisées à l’avance aussi loin que les imaginations pouvaient les supputer. Les états ont ainsi vu gaspiller leur patrimoine ; mais il n’est pas pour cela détruit, il n’est que détenu par des particuliers qui le rendent productif et sont prêts à le céder à bon prix au plus offrant. La loi n’influe plus, dès lors, sur la transmission de ces biens privés que par l’application normale des règles du droit civil sur les contrats de vente et les successions. Elles ne mettent aucun obstacle à la rapide division du sol, ne l’entravent encore ni par des formalités compliquées, ni par l’imposition de droits élevés. Ces formalités nécessaires pour la vente d’une propriété, quelque importante qu’elle soit, peuvent être remplies en trois jours, y compris la purge des hypothèques, le privilège des femmes mariées et des mineurs et les hypothèques tacites n’existant pas, les droits de transmission et d’enregistrement, bien qu’ils se soient élevés considérablement dans ces dernières années, sont encore fort modérés. Nous sommes loin des droits qui, en France, absorbent les revenus de trois et quatre ans d’une propriété vendue ou transmise par succession : si la tendance qui se manifeste, chez les législateurs argentins, de se rapprocher de l’exemple des pays d’Europe et d’imiter tout ce qui peut augmenter les ressources fiscales s’accentuait, ils auraient trouvé ainsi le vrai moyen de ruiner et de dépeupler ce pays où les conditions sociales sont différentes, où la terre constitue le seul capital et le principal objet d’échange, et doit être, pendant de longues années, traitée par la