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et de chaux, sur le modèle de celle du voisin, qui l’a copié lui-même sur une plus ancienne, répétant, sans y rien changer, le type à peu près unique créé par un architecte modeste et sans imagination, très ami de la simplicité.

Il ne faudrait chercher, au milieu de cette uniformité, ni dans les procédés de culture, ni dans la forme des habitations, des traits particuliers indiquant avec précision l’origine ou la nationalité des colons. Tous ont sur ces différens points généralement oublié les traditions de leur pays, adopté de nouveaux usages, modifié insensiblement leur costume, leur alimentation, leurs instrumens et leurs modes de culture. L’agriculteur américain diffère absolument de son congénère d’Europe, et c’est pour cela peut-être qu’il réussit mieux : il n’a pas l’ambition de vivre exclusivement sur son bien et d’en tirer les élémens complets de sa subsistance ; il vit de sa terre comme un commerçant de son commerce, il trafique de ses produits et du sol même s’il y trouve profit ; il a plutôt, en sa qualité d’étranger, la crainte que l’ambition de s’y enraciner. Il ne cherche surtout pas à augmenter la somme de son travail ; c’est là une routine qu’il laisse aux fanatiques de la tradition, si nombreux dans la campagne de France. Et, de fait, il est parvenu à simplifier singulièrement son labeur : il ne connaît pas cette division de la terre par parcelles éparses, éloignées les unes des autres, qui est le grand écueil et une des causes de ruine, la principale peut-être de la culture française ; sa maison est au milieu de son champ, il ensemence une pièce de terre unique de 50 ou de 100 hectares, sous une seule graine : ici du blé, là de l’orge, du fin ou du maïs, et travaille en industriel. Il obtient ce résultat, quelque peu éloigné de la portée du paysan français, de cultiver son champ, d’y trouver l’aisance en menant une vie pleine d’heures de loisir et de repos ; même pendant l’époque de la moisson, il parvient à se libérer de ses travaux absorbans. La différence est complète entre la vie qu’il mène et celle du cultivateur français. Celui-ci semble prendre à cœur de multiplier ses efforts et n’arrive qu’à en diminuer les résultats. Toujours le travail le presse, ses occupations sont assez nombreuses pour qu’il en puisse faire provision pour les jours de pluie ou de neige, pour les longues nuits et les courtes journées d’hiver ; il emmagasine son blé pour le battre en grange ou en chambre ; plus soucieux de respecter les usages d’antan que d’épargner sa peine, il égrène un à un ses épis de blé sous le fléau, se méfie de la batteuse qui emplirait ses sacs vivement, mais prélèverait une dîme sur chacun d’eux. Ce paysan-là ne saurait nous croire si nous lui disions qu’au-delà de l’Océan son semblable ne connaît ni cette peine ni ce labeur continu, qu’il a dix mois de loisirs contre deux