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paiera plus tard, les premières installations nécessaires, de préparer le sol et de vivre en attendant la récolte. Ce colon-là est plus difficile à recruter et à convaincre que les rêveurs et les déclassés, à nombreuses tentatives avortées, qui croient découvrir en eux des agriculteurs ignorés et des colonisateurs latens. Il est aussi plus exposé. C’est, en effet, une observation faite dans tous les pays neufs que celui qui y importe autre chose que ses bras et son intelligence risque fort de gaspiller en écoles coûteuses le capital qu’il y aventure ; il le perdra le plus souvent, et il lui faudra, à force d’efforts, le reconstituer; c’est alors seulement qu’il sera un élément social, productif, dans le milieu nouveau où il a résolu de faire sa vie et où il lui faut, bon gré mal gré, triomphant ou vaincu, la fixer. C’est un problème économique difficile à résoudre que celui d’attirer cette émigration et de lui épargner les essais coûteux ; les colons de Santa-Fé l’ont résolu, ils ont substitué à la colonisation officielle la colonisation par voie d’extension progressive. La solution est tout entière dans un système aujourd’hui généralisé de protection mutuelle et d’essaimement qui fait des colonies nouvelles les filles des anciennes : celles-ci procèdent comme les abeilles, tirent d’elles-mêmes les élémens des ruches nouvelles, dont chacune constitue à son tour un centre nouveau d’action destiné lui aussi à former des essaims futurs. Les créations successives se sont étendues d’elles-mêmes dans la même région, en se groupant les unes auprès des autres, avec lenteur au début, peu à peu avec rapidité, profitant de la force acquise et gagnant de vastes étendues de terrains. Les premiers qui ont réussi ont appelé leurs compatriotes et donné à ceux qui nourrissaient des idées d’émigration le conseil de leur exemple ; par cette propagande naturelle ils ont recruté chaque année de nouveaux contingens à qui ils ont pu prêter au début une aide précieuse, dès l’heure de leur arrivée, sans rien sacrifier eux-mêmes, et qu’ils ont enrichis en s’enrichissant également. Ils étaient pour les nouveau-venus des maîtres expérimentés, véritables éclaireurs qui avaient tout appris à leurs frais, qui avaient tracé les chemins et préparé l’avenir de ceux qui arrivent aujourd’hui en grand nombre, — recrues qui prennent rang dans ces cadres vigoureusement constitués.

A son arrivée dans cette vaste région, déserte il y a vingt ans, et qui, depuis, se couvre chaque année progressivement de nouvelles cultures, l’émigrant appelé ou inconnu trouve toujours un champ où employer sa bonne volonté. La population est insuffisante poulies entreprises que son activité multiplie chaque jour, et le nouveau venu, que le désir de devenir propriétaire a mené jusque-là, entrevoit la possibilité de devenir riche, tout en faisant un apprentissage