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lui réclamer ensuite annuellement le remboursement de ces avances, et le prix de la terre s’il désirait l’acheter. Le robinson ne voyait guère dans ces munificences que la nudité du sol et la permission de manger pendant un an aux frais de l’état, ce qui donnait à beaucoup la force de prolonger pendant un an les litanies des : « Si j’avais su! » Ces robinsons-là ont disparu aujourd’hui, il ne reste que des colons, et ce sont eux qui, par leur énergie, ont sauvé cette tentative de colonisation des épreuves de la première erreur ; quant aux découragés, ils auront du moins servi à faire condamner le système de la colonisation officielle.

Elle existe cependant encore, mais plus loin. On espère par ce moyen dangereux appeler quelque population dans les territoires déserts du Chaco argentin qui limitent au nord la province de Santa-Fé, où le gouvernement national essaie de grouper autour des garnisons militaires qu’il entretient pour surveiller les Tobas quelques colons agriculteurs. Ces colonies sont depuis dix ans une ruine pour le trésor ; elles ne peuvent rien produire. Après cinq ans, on y a vu des colons n’avoir pas reçu encore le terrain promis; ils attendent les bras croisés, reçoivent, dans une tente provisoire, une ration insuffisante que le fournisseur a intérêt à leur fournir le plus longtemps possible et que les bureaux de la guerre perpétuent par souci peu désintéressé de la fortune du fournisseur.

Heureusement la province agricole de Santa-Fé et ses colonies laborieuses n’en sont plus depuis longtemps aux bienfaits de la colonisation officielle et artificielle ; elles ont su réagir d’elles-mêmes contre cet engourdissement imposé et se développer par leur propre activité. Quelques-unes cependant doivent encore leur origine à la colonisation par entreprise, ce sont celles de la compagnie anglaise du Grand central Argentin. L’entrepreneur, sans y appliquer les principes de l’administration militaire, prétend exploiter les terrains qu’il possède, comme sa voie ferrée, au bénéfice exclusif de ses actionnaires ; ceux-ci s’enrichissent, et le colon s’écarte, désertant les terrains à proximité de la voie et des gares, propriété de la compagnie anglaise, et s’établit en dehors de cette zone pour y prospérer sans entraves administratives.

Le seul système que l’expérience recommande est celui-là même qui expose le colon, dès la première heure, à l’épreuve la plus rude et met ainsi en relief et en exercice ses qualités. Il consiste à lui vendre la terre à bas prix, payable à long terme, et à l’abandonner à lui-même. Le colon, pour entreprendre la culture dans ces conditions, doit posséder la connaissance de son métier et quelques ressources pécuniaires qui lui permettent de faire, sur la terre qu’il