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bon an mal an le dixième ; et si, depuis 1859, les statistiques lui révélaient que la quote-part des États-Unis dans l’approvisionnement de sa voisine augmentait progressivement, elle n’avait pas à en souffrir. Depuis 1873, il n’en est plus ainsi : les États-Unis ont fourni à l’Angleterre jusqu’à 27 millions d’hectolitres par an ; l’Inde anglaise lui présente aujourd’hui ses produits ; et les économistes prédisent, qu’après avoir satisfait sa population de 250 millions d’habitans, l’Inde pourra prochainement, grâce au perfectionnement de son outillage, au développement de ses voies ferrées, disposer d’un excédent de production de 20 millions d’hectolitres. Déjà, en 1882, elle en a importé en Angleterre 2 millions et, en 1883, 3 millions, pendant que de son côté l’Australie est venue en offrir 8 millions.

L’agriculture française, cette fois, est atteinte dans ses œuvres vives et, le mauvais sort la poursuivant, les mauvaises années faisant suite aux médiocres, la France, de pays d’exportation de blé qu’elle était, est devenue depuis 1877, d’une façon continue, un pays d’importation de blé, sans que le déficit de ses récoltes ait eu même l’avantage traditionnel de peser sur le consommateur au profit du producteur. Aussi, à l’heure où notre sol, loin de fournir à la consommation les 120 millions d’hectolitres qu’elle demande annuellement, lui en offre à peine 100, quelquefois 110 par exception, l’agriculteur est bien près de vendre sa charrue et même son troupeau si l’état n’intervient et ne prohibe aux frontières blé, sucre, bétail, que notre sol cependant ne produit pas en quantité suffisante.

Nos concurrens agissent autrement ; tous améliorent leurs cultures et augmentent l’intensité de leur production ; s’ils vendent leurs charrues, c’est pour leur en substituer de plus perfectionnées et conquérir avec elles des régions nouvelles ; s’ils quittent leurs fermes, donnent congé au propriétaire, qu’ils ne peuvent plus satisfaire et disent adieu pour quelque temps aux champs qui les ont vus naître, où ils sont restés de pères en fils des mercenaires ou des locataires, c’est pour s’expatrier, fatigués qu’ils sont de payer à chaque génération, plusieurs fois la valeur du sol, sans parvenir à l’acquérir ; ils vont là où le prix infime de la terre est une quantité négligeable dans le revient de ses produits.

En France, pendant qu’héritiers et notaires se mettent d’accord pour diviser la terre en parcelles si minuscules que charrues et faucheuses n’y peuvent manœuvrer, que la moisson s’y doit faire à la faucille, nous attendons patiemment que la terre vienne à manquer à l’émigrant allemand ou irlandais, illusion qu’on doit perdre. Aujourd’hui que tout se sait, personne ne peut ignorer que les États-Unis,