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veille, et il la remettait au docteur Douglas : « Je le fais, lui écrivait-il, afin que ces notes soient votre justification si l’on critique le traitement que vous m’avez fait suivre, et pour qu’elles servent à l’étude du mal dont je souffre. » Ayant su par une indiscrétion, dans les derniers jours de son existence, qu’un journal avait attaqué violemment son médecin, comme n’ayant su ni reconnaître son mal ni adopter un traitement convenable, il remit spontanément au docteur Douglas une note dans laquelle il se déclarait très satisfait de ses soins et lui en exprimait toute sa reconnaissance. Il se préoccupait sans cesse de consoler tous ceux qui l’entouraient, de leur cacher l’acuité de ses peines et de relever leur courage. Les dernières paroles qu’il ait articulées d’une voix un peu forte ont été celle-ci : «Je désire que personne ne prenne le chagrin trop à cœur à cause de moi. »

Où puisait-il ce courage et cette résignation? Dans les sentimens profondément religieux dont il était animé. Son père et sa mère appartenaient à l’église méthodiste épiscopale ; ils étaient extrêmement pieux, et ils avaient élevé leurs enfans dans les mêmes sentimens. On avait plus d’une fois entendu Grant dire, en parlant d’une de ses sœurs : « Qu’elle est heureuse, et que j’envie l’intensité de sa foi ! » Il ne parlait point volontiers des matières religieuses, se déclarant incompétent en théologie ; mais il se croyait tenu de donner le bon exemple à ceux qui l’entouraient. « Je crois aux saintes Écritures, disait-il un jour à un ami, et je suis convaincu qu’on ne peut suivre leurs préceptes sans devenir meilleur. » De mœurs irréprochables, et même austères, il ne lui est jamais arrivé de jurer, ni de raconter une anecdote licencieuse, ni d’en laisser raconter en sa présence. Le docteur Newman, dont il avait été le paroissien à Washington, et qui est venu l’assister à ses derniers momens, a dit de lui qu’il n’avait jamais vu personne plus assidu aux offices du dimanche et plus attentif au sermon. Un dimanche, le docteur Newman avait prêché sur la résignation et cité comme exemple la veuve d’un soldat tombée dans la misère et un vieillard devenu aveugle, qui, tous deux, supportaient leur malheur avec courage. Le soir, il reçut de la présidence un billet de 20 dollars, avec ces mots : « Soyez assez bon pour donner 10 dollars à la veuve du soldat et au vieillard aveugle dont vous avez parlé aujourd’hui. » Une autre fois, une veille de Noël, c’était un bon de 100 dollars, avec la prière d’en distribuer aux pauvres le montant. La maladie ne fit que fortifier chez Grant les habitudes pieuses de toute sa vie. Tous les matins, après l’inspection du médecin, Mrs Grant venait passer une heure en tête-à-tête avec son mari; puis elle lui récitait la prière du matin et se retirait pour déjeuner. Un jour, un visiteur se présenta et demeura si longtemps que, l’heure du déjeuner étant