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nombre de réunions publiques et à recommander au suffrage populaire, dans de courtes allocutions, le candidat qui l’avait supplanté.

La carrière politique lui était désormais fermée comme aussi la carrière militaire. L’une et l’autre lui avaient rapporté plus d’honneurs que d’argent. Sa fortune était des plus modestes, il avait quatre enfans, et, déjà, plusieurs petits-enfans. Il résolut d’entrer dans les affaires, mais l’âge n’avait point ajouté à ses aptitudes pour ce genre d’occupation, et il s’y montra aussi peu propre que vingt ans auparavant. Il fut bientôt entouré par une foule de spéculateurs désireux de tirer parti de sa grande renommée, de sa popularité et de sa légitime réputation d’intégrité. Il fit preuve d’un médiocre discernement dans le choix des hommes auxquels il permit l’usage de son nom. On le vit aller au Mexique, comme agent de la maison Jay-Gould, pour négocier la concession du prolongement jusqu’à Mexico du chemin de fer du Texas ; on le trouva bientôt après à la tête d’un groupe de capitalistes qui cherchaient à former une compagnie pour construire un canal interocéanique à travers le Nicaragua et écrivant ou signant des brochures contre le canal de Panama ; puis son nom glorieux finit par devenir un accessoire inévitable du prospectus de tout lanceur d’affaires. Sa considération en souffrit : on en put juger par l’accueil peu empressé que le congrès fit à la proposition plusieurs fois renouvelée par les amis de Grant, de le rétablir sur les contrôles de l’armée régulière et de lui rendre son traitement de général en chef. Ce glorieux soldat de si rudes campagnes, ce successeur de Washington au fauteuil de la présidence, après avoir été l’idole de ses concitoyens et l’hôte des empereurs et des rois, allait-il finir obscurément comme un vulgaire agent d’affaires ? Cette grande renommée allait-elle subir une éclipse irréparable? Non : l’adversité et la souffrance devaient la rajeunir et lui restituer son éclat.

La veille de Noël 1883, Grant glissa sur la glace et tomba devant la porte même de sa maison : on le releva ayant une grave contusion à la hanche. En même temps, une pleuropneumonie se déclarait et le retenait plusieurs semaines au lit. La contusion fut plus longue encore à guérir, et il lui en demeura à la hanche et au derrière de la tête un rhumatisme dont les accès étaient extrêmement douloureux : pendant plusieurs mois, il ne put faire un pas qu’avec des béquilles, et le secours d’une canne lui fut toujours nécessaire pour marcher même dans l’appartement. Ce n’était que le prélude d’un malheur plus grand. Il était devenu l’associé en nom d’une maison de banque : un de ses fils avait pris un intérêt dans cette maison à sa création; le fondateur, nommé Ward, avait aussitôt importuné Grant pour qu’il consentît à être son associé en nom,